Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eût dû lui rappeler jusqu’au bout ce qu’il pouvait attendre de l’énergie d’une armée telle que la sienne. Le succès était-il dû à la solidité des troupes ou aux dispositions habiles du général en chef ? L’armée, pleine de confiance encore dans celui qui la commandait, s’oubliait volontiers elle-même pour lui attribuer le principal honneur de la victoire. Il y eut alors un de ces momens d’enthausiasme, si communs en France, qui portent un homme au premier rang, et devraient lui imposer l’obligation de n’en pas descendre. M. Barthélémy Saint-Marc Girardin, attaché comme garde mobile au quartier-général, témoin très bien informé et très impartial des événemens, exprime en ces termes l’impression que beaucoup de personnes ressentirent le soir de la bataille de Rezonville. « Le maréchal, dit-il, a eu là son quart d’heure de gloire. A huit heures, quand, malgré le retour offensif de l’armée prussienne, la position de Rezonville fut maintenue définitivement, je rappelle au souvenir de chacun ce que disait et pensait alors tout le monde ; aujourd’hui ces impressions sont dissipées, ce n’est pas une raison pour les désavouer. Puisqu’on a pu croire un moment qu’on avait enfin à sa tête un homme capable de sauver la patrie, puisqu’on a pu avoir cette croyance légitime, pourquoi nous refuser aujourd’hui la triste consolation de le dire, et renier nos espérances patriotiques du 16 août ? »

Le maréchal Bazaine eut-il tort le lendemain de se reporter en arrière et de renoncer à marcher sur Verdun ? L’armée, qui croyait à sa force et que le succès de la veille avait remplie d’espérance, s’étonna de reculer après une victoire. Il est certain cependant que, pour assurer la marche des troupes vers la Meuse, il eût fallu plus d’activité, plus de décision, une plus grande fermeté dans le commandement que n’en montrait le maréchal. Embarrassé dans ses mouvemens, encombré de bagages, n’ayant réussi à parcourir en trois jours que le tiers de la distance qui le séparait de Verdun, et malgré ces lenteurs, malgré la proximité de Metz, déjà dépourvu de vivres et manquant de munitions, pouvait-il se flatter d’échapper par une marche rapide à un ennemi aussi acharné, aussi agile, que les deux armées prussiennes attachées à sa poursuite ? Ce qui était possible le 14, avant le combat de Borny, devenait bien difficile le 16 au soir. Si dans ces trois journées, dont le hasard avait décidé plutôt qu’un plan suivi, les troupes françaises avaient fait autant de chemin par des routes excellentes que le plus lent des corps prussiens en avait parcouru par des sentiers escarpés, nos têtes de colonne eussent atteint les portes de Verdun à l’heure même où l’avant-garde allemande débouchait près de Rezonville, mais nous avions perdu quarante-huit heures, des heures décisives qui ne se retrouvèrent plus.

Quoique l’armée conservât encore après la journée du 16