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ensemble, ou parce qu’une jeune mousmée ne songera nullement à fermer sa fenêtre en procédant à sa toilette. Dans une maison japonaise comme dans un berceau d’enfant, on ignore cette convention toute locale appelée pudeur, et qui varie selon le climat. Un Japonais n’est pas moins étonné qu’un nègre du Dahomey lorsqu’on lui dit qu’en se baignant nu il offense la morale.

Dès 1859, les amateurs des œuvres de l’art japonais, et notamment des bronzes, ont pu se procurer d’admirables choses. Les Hollandais surtout ont été privilégiés, grâce à leur comptoir de Décima ; mais à quel prix ! on le sait. Longtemps avant l’arrivée des fureteurs modernes, le dépouillement des richesses de ce pays avait commencé sur une vaste échelle, avec cette différence qu’on ne se contentait pas de laques, d’étoffes, de porcelaines ou de magots. Les Portugais et les agens du gouvernement hollandais visaient à des richesses plus palpables et moins délicates. Kæmpfer dit à ce sujet : « On pense que, si les compatriotes de Camoëns avaient joui encore vingt ans du commerce du Japon[1], ils auraient emporté à leurs colonies de Macao tant de richesses provenant de cet empire qu’il y aurait eu dans cette ville d’or et d’argent aussi abondans que ceux dont les écrivains sacrés disent que jouissait Jérusalem du temps de Salomon. » Est-ce par dégoût d’une telle rapacité que tout à coup le gouvernement du Japon ferma ses ports aux étrangers pendant plus de deux siècles après avoir fait massacrer, aidé par les Hollandais[2], 40,000 chrétiens dans les murs de Simabarra et jeter à la mer, du haut de la roche du Pappenberg, un nombre considérable de ces malheureux ? Les jésuites disent oui, les Portugais disent non. Aujourd’hui tout se passe ici d’une façon très convenable. L’Europe ne prend plus de ce beau pays que ses soies brutes, des graines de vers à soie et du thé. Le Japon, par contre, prend de nos fabriques des cotons filés, des étoffes de laine, des armes et des bateaux à vapeur, qu’il dirige lui-même tout en commençant à en fabriquer pour son propre compte.

Lorsque, après mon départ de l’extrême Orient, je naviguais à toute vapeur sur le China vers l’Europe, et que je songeais à tout ce que j’avais appris et entendu dire de cette belle terre japonaise, je me promis, dès que j’arriverais en France, d’engager la jeunesse de mon pays, celle qui, avec courage, tente de sortir d’une médiocrité sans horizon, à s’y porter. Avec de l’activité, beaucoup de bon vouloir et d’honnêteté, on doit réussir dans cette Écosse de l’Orient. Le succès est d’autant plus probable que le Japon a été peu exploité

  1. 1599.
  2. 1636.