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triomphans. Ce fait étonnera peu lorsqu’on saura, ainsi que je l’appris par la suite, que l’instruction est presque obligatoire au Japon. L’éducation y semble différer aussi beaucoup de celle que reçoit la jeunesse en Europe ; personne n’y a jamais vu frapper un enfant, ni entendu les horribles cris de détresse que poussent dans les quartiers populeux de nos villes certaines petites créatures indomptées ou indomptables. Un de nous ayant acheté un lot d’objets en laque devant le groupe des enfans que nous avions soumis à l’examen, et une difficulté s’étant élevée avec le vendeur japonais, ce dernier, à notre grande surprise, soumit avec un sérieux comique la solution de la difficulté à l’aréopage enfantin, et celui-ci, après avoir sérieusement écouté, sérieusement discuté, la trancha en notre faveur ; le marchand s’y conforma de bonne grâce.

Après s’être rafraîchis et reposés à Kavasaki, les voyageurs doivent suivre leur route jusqu’à Yeddo en côtoyant la mer presque tout le temps. Comme d’un côté on a la vague qui déferle aux pieds des chevaux, de l’autre des maisons où l’œil curieux pénètre, des collines couvertes de mélèzes et de cèdres[1], de camellias en fleurs et de camphriers odorans, on arrive sans fatigue jusqu’à la capitale. Il y a deux cent soixante-dix ans, lorsque l’Espagnol don Rodrigo de Vivero y Velasco vint de Manille à Yeddo, cette ville n’avait que 700,000 habitans ; aujourd’hui la population atteint le chiffre de 1 million d’âmes. Elle est en décroissance, à ce qu’il paraît, depuis l’époque où notre politique a mis le taïcoun en disgrâce. Les daïmios qui l’ont soutenu se sont retirés, eux aussi, dans leurs fiefs, et là où l’on voyait l’animation, où l’on n’entendait que le cliquetis des armes, les chants de guerre et d’amour des guerriers japonais, poussent l’herbe et l’ortie, règne un silence de mort ; mais qu’on se rassure, tout Yeddo n’est pas ainsi. A quelques pas du bel hôtel à l’européenne qui s’élève dans une situation charmante en vue de la baie, vous retrouvez la vie, le pêle-mêle des rues des grandes villes de l’Europe, sans en excepter Londres et Paris dans leurs jours d’émotion populaire. L’étranger n’y est molesté ni inquiété, au contraire ; partout l’accueil le plus cordial lui est fait, et les femmes répondent toujours par un salut et un sourire gracieux au salut que vous leur adressez. Les mœurs y sont malheureusement fort relâchées, quoique la peine de mort frappe les hommes et les femmes convaincus d’adultère. C’est la seule ombre au tableau que j’ai cherché à esquisser de ce peuple intelligent, brave et poli. On dit à tort, à ce propos, que les Japonais sont impudiques, parce que les deux sexes ont l’habitude de se baigner

  1. Abies Kœmpferi et cryptomeria japonica.