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c’est-à-dire grande et belle ; lorsque les artistes japonais la reproduisent, on voit qu’ils le font avec sentiment et avec esprit ; ils aiment si bien leurs jardins aux allées tortueuses où courent des ruisseaux ombragés d’élégans bambous, leurs montagnes et les neiges éclatantes qui en couronnent les sommets, les volcans de leur archipel projetant dans la nuit une rougeur sinistre, que partout, sur leurs laques comme dans leurs bronzes, vous verrez reproduites ces beautés de la nature. Qui ne connaît depuis bien longtemps, sans s’en douter, leur montagne sacrée, leur Fusiyama ? C’est un cône d’une grande majesté qui domine Yeddo ; on le voit presque toujours décorant leurs plateaux ou légèrement esquissé sur leurs porcelaines transparentes. En regardant avec quelque attention les produits de leur art, on est sûr d’y retrouver leurs maisons rustiques simplement recouvertes, il est vrai, d’un toit en chaume, mais toujours posées sur les flancs d’un coteau d’où l’on découvrira la mer, des îles, des golfes mystérieux où le flot repose, et au loin, à l’horizon, comme des roseaux desséchés, quelques barques de pêcheurs aux voiles dorées. La lune figure souvent aussi sur leurs dessins laqués ; c’est qu’en effet rien n’égale l’apparition majestueuse de cet astre quand, des hauteurs qui dominent Nagasaki, on le voit s’élever de la mer, large, ensanglanté, et peu à peu répandre, en montant lentement, son éclat argenté sur les eaux mouvantes et les montagnes boisées. Rappelons, pour terminer, que le Chinois n’a pas et n’a jamais eu de conviction religieuse, tandis qu’au Japon, quoiqu’il n’y ait plus un seul chrétien indigène, c’est par milliers que l’on compte les martyrs qui payèrent de leur vie, il y a deux siècles passés, leur attachement à la religion du Christ. Voici ce que rapporte à ce sujet le père Charlevoix, biographe de saint François-Xavier[1]. « Une chose, dit-il, arrêtait pourtant les progrès de l’évangéliste ; il était difficile de prouver à ce peuple que eaux qui pendant leur vie n’auraient pas adoré le vrai Dieu seraient condamnés aux flammes éternelles de l’enfer… Si le Verbe incarné est mort pour tout le monde, disaient-ils, pourquoi sa mort ne profiterait-elle pas à tout le monde ? S’il condamne aux châtimens éternels tous ceux qui n’obéissent pas à sa loi, pourquoi a-t-il tardé à nous la faire annoncer pendant plus de quinze cents ans ? Les néophytes versaient des torrens de larmes en songeant qu’ils ne verraient jamais ceux des leurs qui n’avaient pas reçu le baptême. » Ailleurs le grand apôtre s’étend sur les qualités morales de ce peuple. « Autant que j’en puis juger, dit-il, les Japonais surpassent en vertu et en probité toutes les nations découvertes

  1. Histoire et description du Japon, Rouen 1715.