quelque peu d’anglais. Je vis qu’il était fort désireux de remplir vis-à-vis de moi ses devoirs de maître du logis, mais ce n’était pas aisé. — Que voulez-vous prendre ? me dirent tour à tour mon hôte et mon introducteur.
Une envie bizarre me traversa le cerveau, et je répondis que je désirais fumer de l’opium.
— Entrez alors dans cette cabine. — Il frappa des mains ; un domestique accourut, qui mit sur ma table une pipe chargée de la drogue stupéfiante, plus un récipient qui en contenait une certaine quantité. — Je vais vous envoyer aussi un peu de thé dans le cas où l’opium ne vous plairait pas ; je suppose que c’est la première fois que vous en fumez ?
Le thé servi, Chu-kian et le domestique se retirèrent en laissant tomber derrière eux la portière soyeuse. Dès que je fus seul, je fumai une première pipe dont je trouvai le goût détestable. Je m’étendis sur le lit, je posai ma tête sur l’oreiller, c’est-à-dire sur le rouleau dur et glacé qui en tenait lieu, et je fermai les yeux. Après quelques minutes de méditation, sentant un malaise soudain m’envahir, je regardai éperdument autour de moi. Apercevant l’ouverture d’un sabord, je mis ma tête au dehors afin de rafraîchir mon front qui brûlait ; mais la vue de l’eau noire du fleuve clapotant tristement à mes oreilles me fit mal. Je me recouchai, persistant dans ma fantaisie. Au bout d’un quart d’heure, ayant fumé deux nouvelles pipes et pris deux tasses de thé, je sortis de ma cabine sans trop avoir la conscience de ce que j’éprouvais. J’étais comme un homme frappé de vertige et sous le coup d’un atroce mal de mer.
— Où êtes-vous, Chu-kian ? m’écriai-je en faisant irruption dans le salon… Le jeune garçon qui m’avait servi et mon amphitryon accoururent auprès de moi, et me montrèrent dans l’intérieur d’un fumoir, tout aussi mystérieux que le mien, mon hôte de Hanam dans un état que je n’oublierai jamais. Sa face était blême ; ses yeux démesurément ouverts regardaient avec une expression d’effroi dans le vague ; sur sa figure pâle ruisselait une sueur visqueuse. — Mais réveillez-le donc ! dis-je à ceux qui m’entouraient.
— Non, non. Laissez-le tranquille ; vous lui feriez plus de mal en le réveillant qu’en le laissant poursuivre son rêve.
Comme j’avais hâte de prendre le grand air, je crus ne pas devoir insister ; je hélai notre canot, et, me faisant reconduire chez mon hôte, je renvoyai l’embarcation à la jonque. Le lendemain matin, Chu-kian se présenta pâle, défait, ayant l’aspect cadavéreux des jeunes gens que j’avais vus la veille.
— Êtes-vous encore malade ? lui demandai-je, inquiet. Avez-vous fait comme moi un essai malheureux ?