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moi-même au plus vite en entraînant mon lit. Un de mes amis, chef d’une maison écossaise, à qui je raconte ma mauvaise nuit de la veille, m’enlève de l’hôtel et m’offre d’aller dîner à sa maison de campagne, située à vingt milles dans l’intérieur. J’accepte, et nous partons dans un break auquel est attelé un magnifique cheval australien. Nous suivons une route tracée sur un sable à fond rougeâtre ; . des huttes recouvertes de feuilles de palmier et abritées sous de grands muscadiers la bordent quelque temps. Au bruit de notre passage rapide, les Malais, coiffés d’énormes turbans en cotonnade rouge et vêtus de sarraux aux couleurs tranchantes, viennent sur le seuil de leurs maisons et nous regardent passer avec curiosité ; ils ne semblent témoigner pourtant aucune déférence pour nous. — Ils sont très orgueilleux, me dit mon ami ; leur caractère est altier, et leur rancune redoutable. Ils ne sont pas à craindre pour nous, qui les connaissons bien et les traitons avec ménagement et beaucoup de justice ; mais malheur à l’Européen inexpérimenté qui leur impose une punition imméritée. Voyez à leur ceinture ce fourreau grossier en bambou qui ne les quitte pas : il renferme une lame effilée, le terrible crish malais, contourné comme une vipère et envenimé comme elle. C’est avec cette arme qu’ils frappent l’imprudent qui les a maltraités sans raison. — Après deux heures d’un trot allongé, nous laissons la grande route pour nous engager dans un sentier étroit, à peine tracé et se déroulant aux flancs d’une montagne aux pitons nuageux. De belles lianes fleuries montent du sol ou redescendent du faite des grands arbres formant sur nos têtes un dôme épais de verdure. Bientôt des ouistitis nous accompagnent et font entendre de petits cris plaintifs ; des cacatoès énormes sortent leurs têtes intelligentes du creux des vieux arbres où ils sont nichés, et relèvent avec colère leurs aigrettes à plumes jaunes ; des tourterelles couvrent les branches desséchées des arbres par troupes innombrables et ne s’envolent pas à notre approche. On ne chasse jamais ces doux animaux, et il est difficile de rencontrer à l’état sauvage un oiseau moins effrayé. Nous arrivons, à la tombée de la nuit, au sommet du plateau sur lequel s’élève la maison de campagne de mon ami John Knox Smith ; elle est construite à 15 pieds du sol, et supportée à cette hauteur par une double rangée de colonnes en granit. On y monte par un large escalier en pierre blanche placé au centre, de l’édifice et conduisant dans la salle à manger ; celle-ci communique par deux larges entrées sans portes avec un grand salon, lequel à son tour donne accès du côté de la façade sur un large balcon. Les chambres à coucher sont placées à droite et à gauche de l’habitation, et s’ouvrent sur une galerie ou vérandah spacieuse. Les écuries, les remises, les logemens des domestiques, sont situés