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exemple que les bois servant à faire des traverses de chemin de fer.

Depuis un tiers de siècle, le prix du chêne a doublé ; ainsi le merrain, qui à l’importation coûtait 30 centimes la pièce en 1826, valait 70 cent, en 1866. Pendant la même période, nos achats en bois d’œuvre de toute nature à l’étranger ont triplé en quantité et septuplé en valeur, en passant de 20 millions à 150 millions de francs, nombres représentant les excédans des importations sur les exportations. En même temps la production du fer se développait avec une étonnante rapidité ; en 35 ans, la quantité de fonte produite en France s’est élevée de 500,000 à 1,200,000 tonnes. L’emploi de la houille et du fer ne ralentira donc pas la progression de nos besoins en bois d’œuvre. Depuis dix ans surtout, la substitution du fer au bois dans les constructions et l’industrie se fait dans une grande proportion ; en dix ans seulement, de 1857 à 1866, l’excédant de nos importations en bois d’œuvre de toute nature a doublé en passant de 75 à 150 millions, et les importations en bois de chêne se sont élevées à elles seules de 15 à 45 millions de francs. Des faits semblables s’observent chez les autres nations, et ils sont une conséquence naturelle du développement rapide du commerce et de l’industrie. Cependant ce mouvement remarquable n’est qu’à son début ; à moins qu’il ne s’arrête, il y a lieu de présumer qu’au commencement du siècle prochain le prix du bois d’œuvre aura doublé une fois encore, et qu’il nous manquera en France au moins un million de mètres cubes de chênes de fortes dimensions. L’Angleterre en est aujourd’hui à peu près au point où nous en serons dans trente ans, et déjà le prix du chêne y est beaucoup plus élevé qu’en France. L’Angleterre est riche néanmoins ; c’est qu’elle a sa houille, son fer et sa colossale industrie ; elle a sa marine de commerce, dont la nôtre n’approche ni par le tonnage des navires, ni par le nombre des transports ; enfin le marché du monde entier lui est ouvert, et il y reste encore des bois à vendre. Dans trente ans, trouverons-nous à l’étranger les chênes que nous lui demanderons à tout prix ? Si l’on rencontre encore du bois sur pied dans les pays déserts, on l’y exploite vite au temps où nous sommes, et il ne s’y reproduit pas. Un million de mètres cubes de gros chênes ! se représente-t-on ce que c’est et les conditions nécessaires pour que cette quantité se trouve tous les ans disponible ? C’est le chêne qui suffirait pour faire de Marseille à Dunkerque un parquet de 20 mètres de largeur, et dans leur état actuel les débris des forêts de toute la Gaule ne peuvent le donner.

En même temps que le chêne manquera en France, il fera de plus en plus défaut à toutes les nations industrielles, et le prix s’en élèvera sans autre limite que l’insuffisance de la richesse générale. C’est ainsi que la production des bois d’œuvre cessera bientôt d’être