Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

millions de francs par année ; c’est déjà le dixième de toutes les exportations françaises. Et nous sommes au début du nouvel état commercial créé par la vapeur, qui donne au marché des vins une extension sans limites. Eh bien ! c’est ici surtout que la rareté du chêne devient une entrave pénible, onéreuse, déplorable. Le merrain, ces petites planchettes dont on fait les pipes, les barriques, les feuillettes, les fûts de tout genre, ne peut être fabriqué qu’avec de gros arbres, et les plus gros sont de beaucoup les meilleurs pour ce genre de débit. Or le merrain que nous produisons est déjà bien loin de suffire à nos besoins ; il y a une dizaine d’années, jusqu’à 1857, nous n’achetions encore à l’étranger en moyenne qu’une vingtaine de millions de pièces de merrain. Députe lors, la progression a été rapide : en 1866, nous avons importé en excès sur une exportation relativement insignifiante 63 millions de merrains, évalués à 45 millions de francs. C’est surtout à l’Autriche que nous demandons ce bois, et les forêts qui le fournissent sont principalement celles des confins militaires du bassin de la Save, où l’industrie commence à prendre pied. La quantité de bois de chêne exigée pour donner ce merrain est cinq ou six fois plus grande que l’approvisionnement de notre flotte militaire ; elle n’est pas en effet moins de 400,000 mètres cubes, et il faut y ajouter la quantité des merrains indigènes. Eh bien ! toute cette masse de bois, les terrains pauvres qui se rencontrent çà et là dans les plaines de France, en Sologne et ailleurs, les hauteurs couronnant les collines dont les versans portent nos vignes, enfin les parties basses et stériles de nos montagnes, pourraient nous la fournir à titre à peu près gratuit. Quel avantage pour notre industrie viticole et le commerce des vins !

Essayons maintenant d’évaluer la quantité totale des gros bois de chêne réclamés en France par la consommation : — 500,000 mètres cubes au moins pour la fabrication des merrains, 200,000 pour les besoins de nos deux marines, 50,000 pour le matériel roulant des chemins de fer, des volumes également considérables pour l’exploitation des mines et pour les besoins de l’artillerie et du génie, enfin une quantité très notable pour toutes les autres branches de l’industrie et de l’agriculture ; — on arrive ainsi à un total de plus de 1 million de mètres cubes, bois ronds. Et il faut remarquer qu’il ne s’agit ici que du chêne ou exceptionnellement d’autres essences quelque peu aptes aux mêmes usages, comme le châtaignier pour la fabrication des futailles, l’orme rouge dans les constructions navales, le frêne dans le matériel des chemins de fer, le mélèze et le cœur de pin dans quelques autres emplois. Les bois de chêne de qualité inférieure ne sont pas compris dans cette évaluation, non plus que ceux de grosseur moyenne, tels par