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Entre tous les bois, c’est le chêne dont la privation se fera sentir de la manière la plus pénible pour nous. Chacun sait que ce bois, par ses dimensions, sa force, sa durée, et surtout par l’ensemble des qualités qui le distinguent, est propre à tous les usages. Sa constitution physiologique permet d’expliquer ces qualités diverses. Chacune des couches annuelles du bois de chêne étant formée d’une zone interne où dominent de gros vaisseaux vides et d’une zone externe composée principalement de tissu fibreux bien plein, cet ensemble non homogène est élastique et peut se dessécher à fond. De nombreux rayons médullaires divisent ce bois du centre de l’arbre jusqu’à l’écorce, le rendent apte à la fente, forment ces miroirs qui résistent si bien sur les parquets nacrés, et font des arbres où ils sont largement développés les plus beaux bois d’ébénisterie. Tandis que dans chaque arbre les couches extérieures, produit de la végétation des dernières années, ne sont encore que du bois tendre, de l’aubier, ainsi appelé à cause de sa teinte blanchâtre, la partie ancienne, le cœur, lignifiée avec le temps (une seconde fois pour ainsi dire), devient ce qu’on appelle ajuste titre du bois parfait, fort et durable. Les acides propres, comme le tannin, et la matière gommeuse qui imprègne le bois de certains chênes ajoutent singulièrement à sa durée. Il n’est pas jusqu’à la forme variable de l’arbre, tantôt droite et tantôt courbe, qui ne soit pour lui un mérite spécial. Les bois droits ne sont jamais rares, et les bois courbans sont très recherchés, notamment pour la construction des vaisseaux. Si l’on considère en outre que chacune des qualités du bois de chêne est plus ou moins développée, prédominante, suivant le climat, le sol, l’état de massif ou d’isolement dans lequel a vécu l’arbre, il est facile de comprendre comment ce bois peut convenir à presque tous les emplois. Il sert aussi bien comme bois de travail aux différens métiers, la menuiserie, l’ébénisterie, la tonnellerie, le charronnage, etc., que comme bois de construction dans les bâtimens, les navires, les chemins de fer ; il est même maints usages, comme la fabrication des futailles, dans lesquels il n’est que très imparfaitement remplacé par d’autres matériaux. C’est surtout au chêne gaulois que sont dévolus ces avantages. A nos chênes, rouvre et pédoncule[1], qui se retrouvent à peu près partout en France, de l’ouest à l’est et du sud au nord, nul autre

  1. Ces chênes se distinguent facilement : le rouvre a le pétiole des feuilles assez long, et les glands au contraire sont portés sur un pédoncule court et robuste ; le pédoncule a les feuilles sessiles ou à peu près dépourvues de pétiole, tandis que les glands pendent à un pédoncule allongé et flexible. Ce dernier ne végète bien que dans les sols profonds et frais ; il donne les bois les plus nerveux, c’est-à-dire des bois forts, résistans, élastiques et durables. Le rouvre s’accommode de terrains bien moins riches et même pauvres ; il y produit un bois tendre, moins solide, mais facile à travailler et peu exposé à se déjeter ou à se fendre. Le nom de robur, que Pline lui a donné, conviendrait mieux en général au pédoncule ; mais Pline ne connaissait pas ce dernier, qui ne se trouve point en Italie.