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trouver en quantité suffisante sur son propre territoire, mais nulle part ailleurs. Pour peu que l’on veuille prendre soin de l’avenir, on doit moins que jamais se dispenser de faire une application stricte et générale de cette règle.

Depuis la fin du siècle dernier, la propriété forestière a subi en France une transformation complète. Jusqu’alors, la production du bois d’œuvre en excédait la consommation ; c’est le contraire aujourd’hui. Les forêts de mainmorte et la plupart des bois des simples particuliers étaient généralement aménagés et exploités en vue du simple usufruit. Depuis trois quarts de siècle, la propriété et l’exploitation des forêts sont devenues l’objet de spéculations qui anéantissent la production des arbres de futaie ; chaque jour, le nombre et les dimensions en diminuent ; encore un peu, et dans les bois des particuliers les gros arbres auront disparu. Dans les bois des communes, le même fait se produit plus lentement, mais en s’accusant de plus en plus à chaque nouvelle coupe, à chaque nouveau quart de siècle. Quant aux forêts de l’état, la surface, surtout celle qui produit le bois d’œuvre le plus précieux, va sans cesse en se réduisant par des aliénations successives. Il en est de même de la provision de gros bois qu’elles contiennent ; au commencement du siècle, dans les anciennes forêts royales et dans toutes les bonnes forêts provenant du clergé, les chênes de 3 mètres de tour étaient communs, tandis qu’aujourd’hui ils sont excessivement rares. En même temps les besoins de bois d’œuvre, autrefois à peu près stationnaires, se développent avec une incroyable rapidité. La consommation a plus que doublé depuis cinquante ans, et dès à présent la France achète à l’étranger plus de bois d’œuvre qu’elle n’en produit[1].

Dans toute l’Europe, la consommation et la production des gros bois suivent une progression semblable. L’Angleterre, à peu près dépourvue de grands arbres en dehors des vieux chênes qu’elle conserve précieusement dans ses parcs, l’Angleterre importe annuellement deux fois autant de bois que la France, et ses colonies ne lui en fournissent que la moindre partie[2]. Comme elle, à peu près déboisées, la Belgique et la Hollande demandent aussi des bois d’œuvre à toutes les parties du monde. L’Allemagne du nord est

  1. La valeur sur les ports et marchés des bois d’œuvre consommés en France était estimée en 1866 à 250 millions de francs, dont 150 représentaient le chiffre des importations, et 100 millions seulement la production intérieure (les bois exploités à l’intérieur étaient évalués sur pied à 40 millions). En 1820, la consommation n’était que de 125 millions, la production intérieure ayant peu varié, et les 10 millions d’importations d’alors représentant 25 millions aux prix actuels.
  2. Dans l’Inde, le gouvernement anglais a confié la conservation des forêts à une administration spéciale. Voyez à ce sujet les articles de M. J. Clavé dans la Revue du 1er mars 1860 et du 15 avril 1867.