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bois. » Et, constatant la diminution graduelle des forêts sous l’influence de la civilisation, il ajoutait : « Quand tous les bois auront été coupés, il faudra que tous les arts cessent, et que les artisans s’en aillent paistre l’herbe, comme fit Nabuchodonosor. » Si les peuples avaient pris garde à ces avertissemens, si de notre temps surtout l’esprit d’épargne et le soin de l’avenir avaient conduit à respecter les forêts, nous n’aurions guère à nous en occuper aujourd’hui que pour les exploiter, et nous pourrions en user largement. Par malheur il n’en a pas toujours été ainsi. Les besoins de bois d’œuvre ont progressé avec le temps, et la production en a diminué. Il n’est plus à craindre que les artisans soient réduits à « paistre l’herbe, » de nos jours on ne meurt plus de faim ; mais la population peut diminuer, et l’accroissement naturel de la richesse générale peut être ralenti par bien des causes. L’une des plus graves, parmi les causes matérielles, serait la privation du bois d’œuvre, indispensable en grande masse à une société industrielle comme la nôtre. On oublie trop que le bois, surtout le bois d’œuvre, est un bien naturel limité par le temps nécessaire à sa croissance. Il suffit à l’herbe d’un été pour mûrir ; c’est un siècle ou deux qu’il faut aux grands arbres de nos forêts : ils constituent par là même, comme par le caractère de matière première commune, une production soumise à des lois toutes spéciales. Ainsi d’abord il faut reconnaître que, plus on consomme de bois, moins on en produit. C’est là un fait très important, qui prend de jour en jour des proportions nouvelles, et tend à se généraliser sur notre globe ; nous voudrions le mettre en lumière, montrer comment il se réalise en France, indiquer les dangers qu’il entraîne, et étudier les mesures qu’il convient de prendre pour y parer. L’une des premières et des plus nécessaires serait certainement la réserve des chênes d’avenir.


I

Dans toutes les forêts de l’état, dans tous les bois des communes et des établissemens publics, les chênes ne doivent être abattus que quand ils sont mûrs, c’est-à-dire lorsqu’ils ne peuvent prospérer encore pendant une période d’une trentaine d’années. Tel est, à la lettre près, le principe formulé par Colbert dans l’ordonnance des eaux et forêts de 1669, qui en imposait l’application aux coupes de taillis. Cette règle a été maintenue par l’ordonnance du 1er août 1827 pour l’exécution du code forestier. C’est aujourd’hui encore le meilleur moyen d’assurer à la France au siècle prochain les bois les plus précieux et les plus nécessaires à sa prospérité, des produits qu’elle aurait à chercher dans le monde entier et qu’elle pourrait