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animosités et nos petites lubies. Et il fallait être aussi étourdis que nous le fûmes pour faire ce que nous fîmes. »

En ouvrant la session, le roi avait dit dans son discours : « Un projet grave et important appellera surtout votre sollicitude. Depuis longtemps, on s’accorde à reconnaître la nécessité d’une organisation municipale et départementale dont l’ensemble se trouve en harmonie avec nos institutions. Les questions les plus difficiles se rattachent à cette organisation. Elle doit assurer aux communes et aux départemens une juste part dans la gestion de leurs intérêts ; mais elle doit conserver aussi au pouvoir protecteur et modérateur qui appartient à la couronne la plénitude de l’action et de la force dont l’ordre public a besoin. J’ai fait préparer avec soin un projet qui vous sera présenté. J’appelle sur ce projet toutes les méditations de votre sagesse, et j’en recommande la discussion à votre amour du bien public et à votre fidélité. »

Le 9 février en effet, « à la très grande stupéfaction de nos adversaires et à notre très grande et très imprévue satisfaction, M. de Martignac nous lut de sa voix argentine deux grands projets de loi, ornés de deux éloquens exposés des motifs, dont il fit avec sa bonne grâce accoutumée le dépôt entre les mains de notre président, M. Royer-Collard. »

Ces deux projets, l’un sur l’organisation municipale, l’autre sur l’organisation départementale, apportaient dans ces deux régimes le plus grand, le plus libéral changement qui pût y être fait. A côté de la hiérarchie des fonctionnaires administratifs émanés du pouvoir central, ils plaçaient une hiérarchie de conseils délibérans et contrôlans, non plus choisis et dominés par ce même pouvoir, mais élus par les notables des communes et des départemens, propriétaires, industriels, négocians, lettrés, représentans principaux des diverses situations sociales, et ces conseils étaient investis, sur les affaires communales et départementales, d’attributions sinon suffisantes pour être pleinement efficaces, du moins assez réelles pour le devenir. Le principe et le pouvoir électifs établis dans notre ordre politique pénétraient ainsi dans notre ordre administratif et ne pouvaient manquer d’y grandir, selon les besoins du pays, par le développement naturel et régulier des institutions et des faits.

En présence d’un tel progrès, « que devions-nous faire ? Quelle conduite devions-nous tenir ? demande le duc de Broglie ; quand je dis nous, il va sans dire que je ne parle pas des gens de la droite : ennemis déclarés du ministère Martignac, tout moyen de le mettre bas leur était bon, — ni des gens de l’extrême gauche : ennemis, au fond de l’âme, de la monarchie elle-même, renverser un ministère de plus, c’était pour eux un pas de plus. Je parle des deux centres, je parle des hommes animés d’intentions libérales, mais loyales et