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s’expliquer sur les attaques dirigées contre l’administration dont il était le chef[1], on avait pu remarquer la clarté et l’élégance de son élocution et la bonne grâce de son débit ; mais qui pouvait s’imaginer qu’en moins de deux mois il prendrait rang parmi les premiers orateurs dont la tribune française se soit honorée, qu’il enchanterait tous les partis et mériterait cet éloge, aussi singulier que juste, qui lui fut un jour adressé par M. Royer-Collard : la chambre est vaine de vous ? Je n’ai pas assez connu personnellement M. de Martignac pour expliquer l’obscurité des premiers temps de sa vie politique autrement que par sa modestie ; j’ai ouï dire à ses amis qu’il était homme de plaisir et d’une faible santé ; ce qui est sûr, c’est que, devenu ministre à l’improviste et à son corps défendant, il porta le poids des affaires et de la responsabilité aussi gaillardement que l’ambitieux le plus prononcé, et qu’il y montra un degré de prudence et de fermeté bien rare. Si le cours des événemens ne l’avait pas moissonné en moins de trois ans, il serait certainement devenu l’un des premiers hommes de notre temps et de notre pays. »

La session s’ouvrit le 5 février 1828. Dès les premiers débats sur la vérification des pouvoirs, les espérances qu’inspiraient les nouvelles élections et le nouveau cabinet éclatèrent : un député du centre droit, M. Augustin de Leyval, s’écriait : « On nous parle de troubles, de révolution. Personne plus que moi n’a en horreur l’anarchie et le despotisme : ils m’ont ravi mes parens, ma fortune, ils ont abreuvé mon enfance d’amertume et de misère ; mais, s’il m’en est resté des impressions profondes, elles n’offusquent ni mon sens, ni ma raison : des fantômes, quelque hideux qu’ils soient, ne sont pour moi que des fantômes. La révolution, où donc est-elle ? La charte a tué le monstre, et ce n’est qu’en voulant tuer la charte qu’on peut le faire revivre. Il est des temps où les peuples semblent avoir besoin d’anarchie ; il en est d’autres ou ils n’ont besoin que de raison. Ces derniers temps sont venus pour la France ; tant de vicissitudes dans les événemens, tant de bonnes et de mauvaises fortunes, tant de joies étouffées à leur naissance, tant de triomphes suivis de promptes défaites, ont dissipé les fumées de l’ivresse politique. L’aménité naturelle de nos mœurs, nos habitudes bienveillantes et polies, ont rapproché des hommes ennuyés de se haïr ; dans leurs rapports plus confians et plus faciles, les opinions se sont par degrés adoucies et presque confondues. Que vous dirai-je enfin ? Le royalisme est devenu libéral, et le libéralisme est devenu monarchique. » C’était là trop de confiance dans l’espérance ; mais le langage du nouveau cabinet l’autorisait presque. « Nous n’exercerons

  1. L’administration de l’enregistrement et des domaines.