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Je le priais de placer cette lettre sous les yeux du roi et des ministres encore en exercice, et je terminais en lui disant que, si ces raisons ne leur paraissaient pas suffisantes, je ne leur refuserais pas mon concours.

« J’attendis avec une grande angoisse l’effet de ma lettre. Je fus plus heureux que je n’espérais. M. Decazes m’envoya le lendemain un billet à lui adressé par le roi Louis XVIII, et qu’il m’autorisa à conserver. Le voici :

« Je vous renvoie, mon cher comte, la lettre du duc de Broglie que j’ai lue avec une satisfaction peu commune. Je ne puis être de son avis sur le troisième point ; on ne peut se montrer plus homme d’état qu’il ne le fait dans cet écrit, et certes c’est, de tous les talens, le plus essentiel à un ministre ; mais les autres motifs qu’il donne de son refus sont tellement péremptoires que je suis, bien malgré moi, contraint d’y céder pour le moment. Une chose me console : c’est la pensée que, dès cette session, le vol qu’il prendra dans le salon de la rue de Vaugirard[1] le mettra au-dessus de ces mêmes motifs, et malgré mes 67 ans j’espère vivre assez pour employer au service de l’état des talens que lui-même ne se contestera plus. À ce soir, mon cher comte ; j’attends avec impatience, mais sans inquiétude, le résultat de la conférence qui a lieu dans ce moment.

« Ce jeudi. »

« Le résultat ne se fit pas attendre. Le 19 novembre 1819, M. Pasquier remplaça le général Dessoles aux affaires étrangères, le général Latour-Maubourg le maréchal Gouvion Saint-Cyr à la guerre, et M. Roy M. Louis aux finances. M. Decazes devint président du conseil. »

A peine formé, le nouveau cabinet eut ses deux chefs malades ; M. Decazes fut atteint d’une fluxion de poitrine ; M. de Serre, plus gravement menacé, partit pour Nice le 26 janvier 1820. On attendait des résolutions nettes, des actes efficaces ; rien ne se faisait. Le public était à la fois agité et ennuyé ; « c’est un trouble plat, » disait-on. Le répit aux crises ministérielles fut court ; le 13 février, le duc de Berry fut assassiné ; les douleurs et les colères de la cour et du côté droit dans les deux chambres et dans le public éclatèrent avec violence. L’occasion au profit des intérêts de parti était déplorable, mais puissante. Malgré les efforts du roi en sa faveur, M. Decazes donna sa démission le 18 février ; le 20, le duc de Richelieu, malgré une sincère résistance, reprenait le pouvoir, et formait un cabinet auquel les chefs du côté droit, spécialement M. de Villèle et M. Corbière, promettaient un appui qu’il acceptait. Deux lois

  1. La chambre des pairs qui siégeait au Luxembourg.