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fraîche mine que de coutume. Nous vivions cependant, et en ce moment nous délibérions sous une atmosphère d’intimidation dont le poids était étouffant. J’ai depuis assisté, même pris part à une autre séance de la chambre des pairs pour le moins aussi solennelle, celle qui, le 21 décembre 1830, prononça sur le sort des ministres de Charles X. Nous étions en pleine émeute ; la ville retentissait de la marche des trains d’artillerie et fourmillait de patrouilles ; nous entendions autour de nous la fusillade ; elle se rapprochait d’instant en instant ; nous n’avions, pour toute sauvegarde, qu’une garde nationale qui faisait chorus avec l’émeute, et nous chargeait d’imprécations. Je ne crains pas néanmoins de l’affirmer : l’oppression morale était beaucoup moindre qu’en 1815. Si elle eût été la même, je ne sais trop ce qui serait arrivé des ministres de Charles X. »

Le langage et le vote du duc de Broglie dans le procès du maréchal Ney étaient l’acte d’opposition le plus éclatant qui se pût faire aux violences de la chambre de 1815. Pendant la plus grande partie de l’année 1816, son mariage avec Mlle de Staël et le long séjour qu’il fit à cette occasion en Italie et à Coppet l’empêchèrent de prendre part aux luttes engagées en France à cette époque. Quand il revint à Paris vers la fin d’octobre 1816 avec sa femme et Mme de Staël : « Je trouvai, dit-il, l’aspect des affaires changé ; l’ordonnance du 5 septembre 1816 était intervenue, la chambre introuvable était dissoute, le parti réactionnaire était arrêté court dans ses conceptions, et le ministère de MM. de Richelieu, Lainé et Decazes replacé sur un bon pied. N’ayant en rien concouru à cet acte mémorable, connaissant à peine jusqu’alors le ministre et le petit groupe d’hommes éclairés dont il fut l’ouvrage, je m’en réjouissais comme tout le monde sans bien apprécier ce qu’il avait fallu de décision, de persévérance et de dextérité pour y parvenir. Je n’ai rendu qu’un peu plus tard pleine justice à l’acte même et à ses auteurs. »

La mort de Mme de Staël dans la nuit du 13 au 14 juillet 1817 et les divers soins qu’elle imposa au duc de Broglie retardèrent encore le retour libre et prédominant de sa pensée vers les affaires publiques. Le 20 septembre, les élections à la chambre des députés le rappelèrent à Paris et à Évreux. « C’était, dit-il, le coup d’essai de la loi électorale du 5 février 1817. S’il n’introduisit dans la chambre des députés que des hommes naturellement appelés à y figurer, si même aucun nom fâcheux ne fut prononcé parmi les concurrens écartés, le mouvement électoral fut assez vif et les démonstrations assez bruyantes pour alarmer le roi et la cour, pour inquiéter le ministère auteur de la loi et donner des armes à ses