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dispositions prises pour continuer la lutte, même après un nouvel Austerlitz et un nouveau Wagram. Je n’avais point d’autre droit à tant de confiance que la confiance même dont m’honoraient nos deux plénipotentiaires ; mais, à vrai dire, ce n’était pas à moi, c’était à l’ambassade de France tout entière que ces explications s’adressaient ; je n’étais que le dépositaire accidentel d’un testament in extremis, ou plutôt ce n’était là que l’effusion d’une âme pleine d’angoisses patriotiques et personnelles qui s’épanchait en débordant sans pouvoir se contenir.

« Je pris congé le cœur gros, l’esprit assiégé de noires pensées, et pénétré d’une émotion qui prenait naissance dans des sentimens bien divers. En traversant le palais, à peine remarquai-je que les salles étaient vides, en traversant la ville que les rues étaient désertes ; tout était calme et sinistre comme à l’approche de la tempête :

Il succède à ce bruit un calme plein d’horreur,
Et la terre en silence attend dans la terreur. »


Huit mois après cette démonstration de l’impossibilité de la paix entre l’Europe et l’empereur Napoléon, il avait perdu la bataille de Leipzig, repassé, non sans péril, le Rhin, que les armées de l’Europe coalisée passaient aussitôt à sa poursuite. La guerre était transportée en France. L’empereur Napoléon la soutint pendant trois mois avec une habileté et une activité incomparables, soutenu lui-même avec une vaillance et un dévoûment inépuisables par la petite armée de vieux soldats et de jeunes recrues qui lui restait, glorieux débris de tant de grandes armées qui avaient conquis pour lui l’Europe. Génie inutile du chef ! bravoure et fidélité inutiles des soldats ! A l’ouverture du printemps de 1814, la lutte, portée jusque sous les murs de Paris, était devenue impossible ; Paris avait capitulé, Napoléon avait abdiqué, les anciens rois de France avaient reparu ; l’Europe était dans Paris, Louis XVIII était sur son trône. La guerre européenne était terminée et la restauration accomplie. En compensation et pour la réparation de tant d’épreuves et de douleurs, l’Europe et les Bourbons offraient à la France la paix et la liberté.

Ici je quitte pour quelque temps la scène des grands événemens et de la politique ; c’est du duc de Broglie lui-même, dans sa vie personnelle et intime, que je veux parler, et aussi des circonstances qui préparèrent alors notre liaison, quoique nous soyons restés encore pendant plusieurs années presque étrangers l’un à l’autre.

Pendant que, dans ces luttes sanglantes, les souverains et leurs armées se disputaient les territoires de l’Europe et le gouvernement des peuples, pendant que des trônes tombaient et que d’autres se