Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’histoire de cette grande destinée, plus l’arrêt qu’elle subit après tant de succès et de gloire sera reconnu juste et inévitable. Je ne veux, en ce moment et dans cette place, que rappeler quelques faits particuliers dans lesquels le duc de Broglie fut mêlé à cette époque, et indiquer l’honnête et ferme jugement qu’il portait sur les événemens auxquels il assistait de si près.

Pendant le congrès de Prague, il fut chargé par les deux plénipotentiaires français, M. de Caulaincourt et M. de Narbonne, de dresser un état réel et complet des forces réunies par le gouvernement autrichien à l’appui de sa médiation entre les belligérans. « Ce travail, dont j’ai conservé la copie avec les pièces à l’appui, ayant été soumis, dit le duc de Broglie, à nos deux plénipotentiaires, ils l’approuvèrent de point en point ; j’en discutai avec eux toutes les parties, j’en démontrai l’ensemble et les détails tellement à leur satisfaction, qu’ils me chargèrent d’aller sur-le-champ à Dresde, de le remettre à l’empereur, et de lui faire en quelque sorte toucher du doigt et de l’œil l’immensité des préparatifs accumulés contre lui. Je partis et fis diligence. Arrivé à Dresde, je descendis chez M. de Bassano ; je le priai, de la part de MM. de Narbonne et de Caulaincourt, de placer ce travail sous les yeux de l’empereur, et de me faire avertir si l’empereur avait quelques éclaircissemens à demander.

« M. de Bassano me le promit. Il était consterné, il ne pouvait se refuser à l’évidence des chiffres ni à l’authenticité des documens auxquels ces chiffres étaient empruntés. Il me dit d’attendre, et j’attendis.

« J’attendis longtemps. A la fin, je vis revenir M. de Bassano. Il était radieux. L’empereur, après l’avoir un peu réprimandé, l’avait convaincu que mes chiffres étaient des fables, et nous des idiots. J’insistai. Le duc de Bassano persista. Je persistai de mon côté. « Mon cher, me dit-il enfin, l’empereur en sait plus que nous, plus que tout le monde sur cela comme sur toutes choses, et son opinion est pour moi comme une ornière de marbre où je marche en sécurité sans m’en écarter. »

« J’attendis encore. L’empereur ne me fit point appeler. Il garda néanmoins le travail que je lui avais fait remettre, et je crois qu’il le trouvait au fond plus exact qu’il ne le souhaitait. En tout cas, il ne tarda pas à savoir à quoi s’en tenir.

« Dans la soirée, avant de me remettre en route, j’eus une assez longue conversation avec le secrétaire intime du duc de Bassano. Il me dit naïvement que l’empereur ne voulait de paix qu’en maître et après avoir vaincu ses ennemis. S’il cédait une bicoque, ajouta mon interlocuteur, s’il rompait d’une semelle, il lui faudrait compter avec le corps législatif. Cette phrase me frappa ; mon