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« J’avais retrouvé à Paris, dit-il, un de mes camarades d’Espagne Fargues, fils du sénateur de ce nom, et revenu avant moi, grâce à l’intervention de son père. Il était attaché à la préfecture de police, ce qui se pouvait alors en tout bien, tout honneur, M. Pasquier ayant nettoyé cette écurie d’Augias, et ayant transformé le foyer d’inquisition politique en simple magistrature municipale. Fargues me proposa de l’accompagner dans l’inspection des prisons de Paris, dont il était chargé. J’acceptai avec empressement. Nous en visitâmes plusieurs, entre autres Bicêtre, qui réunissait à cette époque la quadruple qualité de prison d’état, de prison pour les condamnés, d’hospice pour la vieillesse et d’hospice pour les aliénés. Là, à l’extrémité d’un corridor long, étroit et obscur, se trouvait une cellule petite, voûtée et ne prenant jour que sur le corridor même ; il y fallait une lampe en plein jour. Nous trouvâmes dans cette cellule, fort propre d’ailleurs, un ancien chef vendéen nommé Desol de Glizolle, enfermé là depuis dix ans parce qu’il s’était, nous dit-on, refusé à faire sa soumission au gouvernement consulaire. En nous voyant entrer, il ne se leva point de la petite table devant laquelle il était assis, et qui me parut couverte de livres de piété. Il était bien mis, son aspect était calme, grave et presque serein. — Avez-vous quelque plainte à former ? lui demanda Fargues. — Aucune. — Peut-on quelque chose pour vous ? — Rien. — Puis il se remit tranquillement à lire. Je sortis pénétré de respect et d’admiration. Ce digne martyr de la plus juste des causes, j’entends par là celle de la première Vendée, resta jusqu’à la restauration dans la cellule où je l’ai vu. Rendu à la liberté, rentré dans son pays et revêtu d’un commandement, j’ai appris avec joie, en 1815, que durant la réaction de cette époque il s’était conduit avec beaucoup de sagesse, de modération et d’humanité.

« Quelques jours après cet incident, je reçus du duc de Rovigo l’invitation de me trouver le lendemain, à deux heures, au ministère de la police. Je n’y manquai pas, sans prévoir ce qu’il voulait de moi, et quelque peu préoccupé de l’entrevue. J’y rencontrai huit ou dix de mes collègues auditeurs, comme moi en uniforme, ignorant comme moi le but de notre réunion, et, comme moi, n’en augurant rien de bon. Nous attendîmes à peu près une demi-heure, puis on nous fit entrer dans une pièce qui précédait le cabinet du ministre. Là, lui-même vint nous trouver, et nous expliqua avec bonhomie et bonne humeur qu’il avait besoin de quatre ou cinq d’entre nous pour en faire des commissaires de police dans les villes hanséatiques. Il s’étendit complaisamment sur la beauté du poste et sur les services que nous serions appelés à rendre à l’empereur et à la grande armée. Chacun de nous s’excusa du mieux qu’il put ; je me contins, je fis valoir mon ancienneté et mes services. Le duc