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1794, un mois, jour pour jour, avant le 9 thermidor et la fin de la terreur.

Je reprends les dernières paroles que je viens de citer de M. de Rémusat. « En mourant, dit-il, le dernier vœu, la dernière recommandation du fils du maréchal de Broglie à son propre fils enfant fut qu’il restât fidèle à la révolution française, même ingrate et injuste. La France sait que ce vœu a été accompli. » Une inébranlable fidélité à la cause nationale de 1789, tel a été en effet le trait dominant de la vie politique du duc de Broglie. Il eut, dans son enfance, à subir toutes les détresses de l’époque révolutionnaire. Sa mère, Mlle de Rosen, aussi distinguée par son caractère et son esprit que par sa naissance et sa beauté, avait été mise en prison comme son mari et réservée au même sort ; après la mort du prince de Broglie, elle s’offrit pour travailler à la lingerie de la prison de Vesoul, et elle réussit, pendant son travail, à prendre sur un morceau de cire l’empreinte de la clé d’un grenier ouvert sur le dehors. « Un vieux domestique dévoué à la maison de Rosen fit fabriquer une clé sur cette empreinte, dit le duc de Broglie dans ses Notes biographiques ; il attendit ma mère de nuit à la porte de la prison et la conduisit en Suisse en lui faisant traverser les gorges du Jura… Nous passâmes, mes sœurs et moi, dans le château de Saint-Rémy, qui appartenait à ma mère, le temps qui s’écoula entre son évasion et son retour en Suisse. Saint-Rémy était séquestré, on mit le mobilier en vente ; j’assistais à l’enchère, assis à côté du crieur public et criant avec lui, sans doute par pur divertissement d’enfant ; il ne vint à personne l’idée de s’en étonner… Les domestiques auxquels nous étions confiés, n’ayant aucun moyen de nous faire honorablement subsister, imaginèrent de nous conduire à Vesoul et de nous recommander à la charité du représentant du peuple en mission ; c’était, je crois, Robespierre le jeune. On m’affubla du costume à la mode, on me mit sur la tête un bonnet rouge et des sabots aux pieds ; dans cet équipage, nous fîmes antichambre pendant près d’une heure avant d’être admis devant notre futur bienfaiteur ; il nous reçut assez bien, et nous donna, pour vivre, un assignat de 10,000 francs. Je ne sais pas au juste quelle était alors la valeur de ce chiffon. »

Le 9 thermidor accompli, la réaction contre le régime de la terreur suivit son cours, mélange d’alternatives entre des pas chancelans vers l’ordre et la justice et des retours de violence révolutionnaire. Pendant les cinq années de ces pitoyables tâtonnemens des pouvoirs publics et du pays lui-même, la princesse de Broglie, rentrée en France et réunie à ses enfans, mena quelque temps une vie assez paisible, quoique un peu errante, qui aboutit à son second mariage avec M. d’Argenson, petit-fils du comte d’Argenson, ministre