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consolation dans ses deuils ? Que voulez-vous ? elle est désagréable aux habiles, dont elle a plus d’une fois déconcerté les complots, désagréable aux lèvres nouées, dont elle humilie le silence ou les hésitations. La commune a pris à M. Thiers sa maison ; le cercle des Réservoirs veut lui prendre sa langue. Que lui restera-t-il, et que veut-on faire de cette langue ? La clouera-t-on à la tribune, comme y fut clouée jadis celle qui avait commis le crime des Philippiques ? En vérité, parmi toutes les choses qui nous étonnent, aucune ne nous paraît plus surprenante que cette conspiration ourdie contre l’éloquence. Quoi donc ! on en serait déjà las, quand hier encore on affectait de maudire un gouvernement qui commandait sans s’expliquer, et qui, ne parlant pas, souffrait difficilement qu’on lui parlât ! Je crois avoir lu dans Plutarque qu’aux temps de sa liberté, Athènes avait un roi, l’éloquence. A l’éloquence succéda Philippe. Regretterait-on déjà Philippe et les silences du sabre ? A Dieu ne plaise, ou il serait permis d’affirmer que la liberté est impossible en France, et que ce peuple si prompt aux dégoûts et aux lassitudes finit toujours par trouver le sabre qu’il mérite.

C’est ainsi qu’on raisonne à Bâle et qu’on y parle maintenant, monsieur, et si nous passons pour avoir la pensée un peu lente, on ne nous a jamais contesté ni l’esprit de conduite, ni le bon sens. Ce bon sens, qui nous a rendu quelquefois de bons services, nous enseigne qu’il est des situations et des circonstances où les assemblées, comme les individus, doivent s’interdire sévèrement non-seulement les fantaisies et les aventures, mais les petites rancunes et les petites vengeances. Ce bon sens nous apprend qu’il est absurde et puéril d’ébranler un gouvernement qu’on ne pourra remplacer, et de rendre la vie impossible à un homme nécessaire. Ce bon sens estime encore que M. Thiers représente aujourd’hui la paix publique, et que travailler ouvertement ou sourdement à le renverser, c’est attenter à la paix dont la France est affamée. Il nous paraît aussi que le succès de cette coupable entreprise transporterait d’aise tous les ennemis de la France, auxquels M. Thiers a eu l’immense mérite de causer les premiers déplaisirs qu’ils aient ressentis depuis un an. Il nous paraît également que, si l’assemblée nationale discréditait une fois de plus, par ses entraînemens et ses erreurs, le régime parlementaire, on allumerait des feux de joie dans le camp de César. Enfin, pour en revenir à la motion Rivet, nous jugeons qu’en la rejetant les conservateurs joueraient le jeu des radicaux, et donneraient bénévolement les mains à la campagne ouverte pour la dissolution de la chambre.

Dans le temps où M. de Bismarck représentait la Prusse à la diète germanique, il n’était encore connu que pour un homme d’extrême droite, pour un junker excessif dans ses idées et souvent intempérant dans son langage. Alors déjà ce grand sceptique croyait résolument en lui-même, et il aimait à se prêcher aux incrédules ; mais il croyait comme