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l’action de ce pouvoir qu’il dégageait de ses entrailles sanglantes ! Mais à ce compte l’assemblée n’avait pas le droit de créer un gouvernement, puisque rien n’est plus constituant que de faire un gouvernement ; elle n’avait pas le droit de proclamer la république même en fait, puisque c’est là encore une manière de constitution provisoire. Qu’on mette en doute l’opportunité d’exercer ce droit dans toute son extension, c’est une autre question ; ici on pourrait s’entendre. Le reste n’est qu’une subtilité déguisant un calcul de parti.

Quant à la dissolution, ce n’est plus une affaire de théorie constitutionnelle, c’est une question toute politique, et si on y réfléchissait un instant, tout le monde serait d’accord, parce que le premier intérêt national aujourd’hui est assurément d’éviter toutes les occasions de crises publiques. A-t-on bien songé aux conséquences de ce mouvement que l’extrême gauche encourage dans l’espoir bien évident que des élections nouvelles lui donneront le pouvoir ? Fort bien ; on décrète aujourd’hui que l’assemblée se dissoudra le 1er mai prochain ; on ne s’y méprend pas sans doute, c’est une période de six mois d’agitation, c’est le travail ralenti, c’est le crédit suspendu ou menacé, et tout cela pendant que chaque jour nous avons à préparer un peu de notre rançon ! Allons plus loin : le rêve de M. Gambetta et de ses amis est devenu une réalité. Les élections ont donné la majorité à l’extrême gauche, qui a désormais la direction de nos affaires. C’est alors que la question s’aggrave. Croit-on que l’Allemagne n’attendra pas d’abord l’issue des élections qu’on demande, et que, le gouvernement radical une fois établi, elle ne sera pas plus difficile avec lui qu’avec tout autre, qu’elle ne saisira pas l’occasion de lui demander de nouveaux gages ? Mais supposez encore que par hasard, par miracle, ce régime radical ne soit pas l’ordre le plus parfait, comme M. Gambetta s’en porte garant, les Allemands trouveront là un merveilleux prétexte pour maintenir l’occupation, pour l’étendre peut-être. Ils tiendront plus que jamais à rester les spectateurs de nos divisions nouvelles pour en profiter, pour nous infliger au besoin de plus cruels sacrifices, et qui sait alors si la France se relèverait jamais des dernières épreuves auxquelles elle serait exposée ? Non, décidément les merveilles du régime radical que nous pourrions devoir à des élections nouvelles seraient payées trop cher au prix de ce danger, et, si on avait un peu de pitié pour la France, on verrait qu’il n’est pas permis de subordonner à un intérêt de parti l’intérêt national le plus pressant.

Disons le mot avec franchise, avec sévérité si l’on veut : il est malheureusement trop visible qu’en France aujourd’hui il n’y a pas partout un sentiment assez sérieux de la situation qui nous est faite, et des obligations de toute sorte, des convenances de cette situation. On ne s’inquiète pas de tout ce qui s’est passé depuis un an, de ce qui pèse