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situation de la France. Cette situation, elle est tristement et cruellement saisissante. Quel est aujourd’hui l’intérêt supérieur de la France, celui qui domine tous les autres ? C’est trop évidemment l’intérêt de sa délivrance. Tant que l’exécution des conditions de la paix n’est point complète ou suffisamment assurée et manifestement attestée par la retraite de notre ennemi d’hier, la France reste nécessairement dans le provisoire, et elle ne peut même songer à se donner une constitution définitive, parce qu’elle n’est pas libre, parce que le gouvernement qui naîtrait dans ces circonstances porterait éternellement la marque de cette origine. Dès lors la solution se dégageait toute seule. Soit par une interprétation plus explicite du pacte de Bordeaux, soit par un pacte nouveau, si l’on veut, il devait être entendu que, jusqu’à la libération définitive de la France, l’assemblée et M. Thiers restaient chargés de la direction de nos affaires, de l’œuvre commune d’affranchissement. C’était une alliance simple, naturelle et indissoluble, parce qu’elle reposait sur une nécessité nationale. Qu’il y eût des dissentimens entre le chef du pouvoir exécutif et l’assemblée dans le travail de réorganisation qui est à peine commencé, qu’il y eût parfois des difficultés inévitables naissant d’un état certes fort irrégulier, c’est possible ; mais il y a des momens où il n’est pas permis de subir la tyrannie des dissentimens secondaires, des petites difficultés ou des mouvemens de mauvaise humeur. L’assemblée ne pouvait plus désormais, sans danger pour elle-même comme pour le pays, porter la main sur une situation créée dans un intérêt national, et M. Thiers lui-même n’avait plus le droit de se retirer, d’offrir sa démission. Assemblée et pouvoir exécutif étaient liés, ils étaient obligés de s’entendre, et dans cette combinaison de nécessité publique acceptée sincèrement le pays pouvait trouver le degré de sécurité auquel ses malheurs lui donnent le droit de prétendre. Voilà ce qu’était, ce que devait être, à nos yeux, cette prorogation des pouvoirs. Elle voulait dire que l’assemblée et M. Thiers étaient moralement obligés de maintenir jusqu’au bout une alliance formée dans le péril public ; elle signifiait la prédominance de l’intérêt national sur tous les autres intérêts. Et qu’on remarque d’abord que cet arrangement avait au moins le mérite d’écarter bien des difficultés.

Le danger de s’écarter de cette idée supérieure, c’était au contraire de tout remettre en doute. Dès qu’on semblait, ne fût-ce qu’un instant et en apparence, laisser de côté l’œuvre nationale pour tenter une œuvre politique et jusqu’à un certain point constitutionnelle, pour donner le premier pas à des questions de prérogative, on risquait de raviver, de multiplier les divisions au lieu de les éteindre, et c’est ce qui n’a pas manqué d’arriver. Les passions se sont donné rendez-vous autour de cette proposition Rivet ; l’esprit de parti s’est réveillé, les uns ont soutenu la proposition parce qu’ils y voyaient une affirmation nouvelle, quoique in-