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pratiqué pour recevoir un tenon destiné à soutenir le bras droit. C’est après ces réparations que la statue fut moulée ; c’est donc avec ces réparations que les reproductions, sur lesquelles elles sont naturellement plus difficiles à distinguer que sur le marbre, se sont répandues dans le monde entier. Depuis, on a ajouté encore sur l’original, toujours avec du plâtre, quelques masses de plis à une partie de la draperie, on a réparé les fractures de certains autres, et rempli les éraflures assez graves de l’épaule droite et de la partie droite du dos, en laissant subsister celles de l’épaule gauche.

Il se peut que ce ne soit pas un tort de rétablir dans une tête, du moins avec du plâtre, et sans altérer en rien le marbre, l’extrémité du nez et les lèvres, dont l’absence rend la figure humaine presque méconnaissable. Cette exception admise, s’il le faut, il est à croire que désormais on reconnaîtra qu’il convient de renoncer, pour des sculptures anciennes et surtout pour les plus belles de ces sculptures, à toute espèce de réparation. Celles dont la Vénus de Milo a été l’objet, heureusement peu considérables, seraient supprimées, ce me semble, avec tout avantage. Il serait préférable, pour une œuvre d’art de cet ordre, de ne point laisser troubler, par des additions qui ne sont pas et ne sauraient être en parfait accord avec ce à quoi on les applique, l’impression qui résulte de l’harmonie de si belles formes si bien concertées et en somme, alors même qu’on y pourrait noter quelques faibles dissonances, d’une si puissante et si dominante unité.

Je viens de rappeler que les restes des sculptures du Parthénon, les plus précieux peut-être que nous ayons de l’antiquité, sont conservés dans le Musée Britannique, exempts de toute restauration, quelle qu’elle soit ; il en est de même ailleurs, depuis des siècles, de ce torse qu’admira tant Michel-Ange et de ce Pasquin dont un autre artiste éminent, très bon juge, a dit que c’était « la plus belle antiquaille qui fût dans Rome. » Pourquoi n’en serait-il pas de même au Louvre de la Vénus de Milo ? Pourquoi n’y verrait-on pas enfin un semblable chef-d’œuvre tel qu’il nous est parvenu à travers tant de siècles, non-seulement rendu autant que possible à ses proportions et à son attitude primitives, mais encore dégagé de toutes les additions qui ne peuvent qu’en modifier le caractère, en altérer l’harmonie, en ternir la beauté ?


FELIX RAVAISSON.