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mythologie hellénique. Dès le temps d’Homère, Mars a sa place parmi les grands dieux. Par suite, si les monumens consacrés à Mars n’ont pas été aussi nombreux en Grèce que ceux de beaucoup d’autres divinités, on ne peut dire non plus qu’ils y fussent rares. Pausanias cite trois temples qui lui étaient dédiés, et dont l’un passait pour être du temps de Polynice ; il y avait beaucoup de statues de Mars : on en voyait de la main d’Alcamène, élève de Phidias, et de celle de Scopas. Enfin il ne manquait pas non plus en Grèce, et dès les temps les plus anciens, des monumens où fussent associés Mars et Vénus. Tel était ce temple qu’on faisait remonter à Polynice et où l’on honorait les deux divinités à la fois ; tel était le célèbre coffre orné de sculpture consacré par Cypsélus, qui régna à Corinthe dans le VIIe siècle avant notre ère, et sur lequel on voyait Mars armé, menant avec lui Vénus ; tel est le grand autel triangulaire du musée du Louvre, de style archaïque, et vraisemblablement du Ve siècle avant Jésus-Christ, où sont représentés les douze dieux, et où figurent Mars revêtu de son armure, tenant d’une main une lance, de l’autre un bouclier, et en face de lui Vénus, reconnaissable à une colombe qu’elle porte de la main gauche.

Faut-il croire maintenant que, soit chez les Romains, soit chez les Grecs, ces groupes de Mars et Vénus rappelaient seulement les amours furtives racontées par l’auteur de l’Odyssée, que par suite on ne devait les rencontrer que bien rarement dans les monumens qui appartenaient à la religion publique ? Ce serait encore une erreur. Les poètes, sans compter Homère, ne furent pas toujours des interprètes fidèles des idées religieuses qui dominaient dans leur temps et dans leur pays : ils les ont altérées bien souvent pour les accommoder à leurs fictions, ou du moins leur ont préféré des traditions moins accréditées, mais avec lesquelles ces fictions étaient plus compatibles. Pour retrouver les croyances le plus généralement acceptées autour d’eux, par suite les plus familières aux artistes, il faut donc souvent recourir à d’autres sources et recueillir d’autres témoignages. Loin que Mars passât généralement dans l’antiquité grecque pour l’amant adultère de Vénus, épouse de Vulcain, tout porte plutôt à penser que, dans la croyance publique, Mars et Vénus formaient, comme Jupiter et Junon, un couple conjugal, et un couple qui représentait, par l’union de deux natures à la fois opposées et harmoniques, une sorte d’idéal du mariage. De là cette fable qui donnait pour fils à Mars et à Vénus l’Amour, et celle qui leur donnait pour fille Harmonie, dont Euripide fait la mère des Muses.

D’après les opinions émises d’abord par certains poètes, puis devenues vulgaires, surtout chez les modernes, Vénus aurait été la déesse de la beauté et de la volupté en dehors des idées de bien