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et l’obtinrent, palinodies effrontées qui scandalisaient nos aïeux, mais qui n’étonnent plus notre génération plus expérimentée en fait de révolutions. Le roi connaissait trop les hommes pour faire grand fondement sur ces conversions subites et ces dévoûmens officiels. Un peuple, disait-il plus tard, est une bête qui se laisse mener par le nez, principalement le Parisien. Aussi prit-il ses précautions contre la ligue, dont il lui restait à réduire en province les derniers boulevards. Il expulsa de son royaume ceux qui s’étaient montrés ses ennemis les plus irréconciliables et les plus fanatiques. Les plus compromis du parti des seize reçurent des billets qui leur enjoignaient de vider Paris ; ils se retirèrent dans les Flandres, la plupart à Bruxelles, sous la protection de l’Espagne, dont ils avaient servi les intrigues et accepté les subsides. Ils y menèrent une vie obscure et misérable, méprisés, oubliés des catholiques, abhorrés des protestans, rêvant peut-être de rentrer un jour en triomphateurs, méditant des vengeances terribles. Des ressentimens, ce fut en effet tout ce qui survécut de la ligue pendant les seize années de prospérité et de grandeur que nous donna Henri IV. Elle avait commencé par le meurtre de Coligny et du prince d’Orange, elle avait conduit le bras de Jacques Clément, elle aiguisa de nouveau ses poignards, et s’acharna sur celui qui l’avait vaincue : elle frappa jusqu’à ce qu’elle eût donné le coup mortel ; mais elle ne put revivre, parce qu’elle n’avait plus de raison d’être. Il en fut autrement de l’esprit qui avait fait l’émeute du 15 mai 1588 et qui animait les seize ; il n’en était encore qu’à ses premières manifestations. Il se réveilla le 26 août 1648, à une seconde journée des barricades. Enchaînée par Louis XIV pour un siècle et plus, l’explosion n’en fut que plus violente à la révolution. L’insurrection de 1588, pas plus que celles du 10 août 1792 et du 18 mars 1871, ne fut une revendication sincère et sérieuse des libertés municipales. Le parti violent qui à ces trois différentes époques s’empara de l’administration de Paris n’était qu’un pouvoir révolutionnaire, qui prétendait, au nom de la population de cette ville, imposer ses volontés à toute la France, et par l’intimidation et la violence étouffer les moindres résistances à ses desseins. Sans autres traditions que les fureurs populaires des plus mauvais jours, sans autre appui que des masses ignorantes et brutales, cette commune, au lieu de représenter la conciliation des divers intérêts et la gestion collective des affaires de la cité, ne sut qu’armer les citoyens les uns contre les autres, entretenir l’agitation et consommer la ruine de l’état.


ALFRED MAURY.