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occasion de s’en contenter. Ce langage ferme inquiéta fort les coupables. Bussi-Leclerc restait enfermé dans la Bastille, se refusant à faire tirer le canon pour la bienvenue du duc, comme c’était l’usage. Mayenne donna l’ordre qu’on cernât le château, et l’ex-procureur dut se sauver à la hâte sans avoir pris le temps d’emporter de sa demeure les 5 ou 600,000 livres, produit de ses exactions, qu’il y avait déposées. Les seize se croyaient pourtant encore si forts qu’ils continuaient leurs conciliabules. Ils tenaient aux Cordeliers une assemblée où ils n’étaient pas moins de 300. Leur langage à Mayenne n’avait rien perdu de son insolence. Celui-ci se décida dès lors à sévir, et le 4 décembre Ameline, Louchart, l’avocat Anroux et le procureur Aimonot, convaincus de complicité dans le meurtre du président Brisson, qui pour les deux derniers n’était pas leur début, furent sans forme de procès pendus dans la salle basse du Louvre. Cromé, Crucé, Cochery, Launoy, qu’on recherchait, parvinrent à se cacher et évitèrent le même sort. Boucher et Senault, qui avaient le plus trempé dans la préméditation du crime, s’étaient au moment de l’exécution prudemment esquivés de Paris, et affectèrent d’y être demeurés complètement étrangers. Quelques années plus tard, après la rentrée d’Henri IV à Paris, d’autres complices du même forfait payèrent de la vie la part qu’ils y avaient prise. Mayenne n’osa pas dans le moment poursuivre davantage la punition d’un attentat auquel tant de gens avaient participé, et qui trouvait même des défenseurs parmi des personnages haut placés de la ligue. Il rendit au bout de quelques jours un décret d’amnistie, n’exceptant que Cromé et Cochery ; mais, s’il ne poussa pas plus loin le châtiment, il ne négligea rien pour raffermir son autorité et contenir les progrès de la démagogie. Tous les officiers, tous les bourgeois, furent astreints à prêter serment de lui obéir jusqu’à l’élection du roi. Défense fut faite aux habitans de prendre les armes, si ce n’est par l’exprès commandement du gouverneur, du prévôt des marchands et des échevins. Toute assemblée, notamment celle du conseil de l’union, fut interdite. Ces dispositions prises, Mayenne, que la guerre appelait ailleurs, quitta Paris le 11 décembre 1591, laissant au parlement, qui lui avait prêté son concours, le soin de consolider l’ordre et de défendre les bons citoyens.

Le parti ultra-ligueur était désorganisé, abattu, mais non encore écrasé. Les ligueurs modérés, qui avaient dans le principe fait cause commune avec eux, étaient contraints de garder encore à leur égard des ménagemens ; ils laissèrent les prédicateurs continuer à tenir dans les églises un langage furibond. Boucher et quelques autres allaient jusqu’à représenter comme des martyrs ceux qui avaient expié sur le gibet le meurtre de Brisson ; ils accusaient de lâcheté et de trahison le corps de Tille, qui avait abandonné