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d’hérésie, de trahison et de complot contre l’état. C’était déjà ce que la députation envoyée par la faction à Mayenne vers la fin de 1590 avait réclamé. La procédure devait être sommaire. Cromé, l’ennemi personnel de Brisson, qui lui avait signifié sa sentence de mort, et l’un des dix, était désigné pour la présidence ; Ameline aurait rempli les fonctions de procureur. De nouvelles listes de proscription furent dressées par quartier ; c’est ce qu’on appela le papier rouge ; une simple initiale y indiquait si l’on devait être pendu, dagué ou chassé. Ces projets abominables ne purent heureusement être mis à exécution. L’établissement d’une chambre ardente rencontra de vives oppositions, et on se contenta de constituer dans le parlement une chambre spéciale pour connaître du même genre d’affaires, et où l’on fit entrer quelques-uns de ceux dont on avait proposé le nom pour la chambre ardente. L’exécution de Brisson et de ses collègues consterna tous les honnêtes gens. Plusieurs du parti exalté en eurent horreur, et rompirent de ce jour avec les instigateurs. Tel fut l’avocat d’Orléans, qui devint depuis un des adversaires les plus décidés des seize. L’Estoile assure que plus de 10,000 personnes désertèrent alors leurs rangs. La duchesse de Nemours, en butte elle-même aux menaces des factieux, se hâta de prévenir Mayenne, qui était à Laon. Les compagnies de la milice des quartiers opposés aux démagogues se tinrent prêtes à seconder le lieutenant-général dès qu’il paraîtrait. Les seize s’effrayèrent en voyant que, loin d’avoir l’opinion pour eux, ils soulevaient l’indignation générale. « Et je m’asseure, écrit à ce sujet Etienne Pasquier, qu’en moins de vingt-quatre heures ces furieux en furent au repentir, quand, les trois corps exposez en la place de Grève, le peuple non-seulement ne s’excita sur la mensongère harangue de Bussi, mais au contraire tourna ce piteux spectacle à compassion, et quand ils virent l’Espagnol, qui estoit aux escoutes, faire halte en attendant quelle seroit l’issue de ceste inespérée tragédie, les deux princesses n’avoir voulu soubsigner à tout ce qui s’estoit passé, le gouverneur s’estre fermé dans sa maison avec ses gardes, le parlement, chambre des comptes, cour des aides, avoir du tout oublié le chemin du palais. » Les meneurs jugèrent prudent de députer à Mayenne deux des leurs, J. et N. Roland, avec mission de justifier, en dénaturant les faits, l’exécution à laquelle ils s’étaient décidés. Le lieutenant-général ne tint pas compte de leurs paroles hypocrites ; il comprit que la ligue était perdue, si elle tombait aux mains de la démagogie. Il se mit en route pour Paris, et y arriva le 28 novembre ; il annonça hautement à ceux des seize qui s’étaient portés à sa rencontre pour lui redire les explications qu’avaient balbutiées les Roland, qu’il feroit justice aux uns et aux autres, et se gouverneroit en sorte que les gens de bien auroient