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Mayenne était à Paris, le désordre régnait dans les troupes ; quand il retournait à l’armée, le désordre était dans Paris. Le duc n’eut pas plus tôt quitté cette ville que les seize reprirent le cours de leurs violences. Les perquisitions, qui étaient des vols déguisés, recommencèrent, et on arrêta de plus belle. En un seul jour, le 31 juillet, on emprisonna 300 bourgeois ; d’autres fois on assassinait des politiques et des huguenots. Le bureau de la ville s’en émut. Il envoya aux prédicateurs des instructions spéciales pour qu’en échauffant le zèle de la population ils en réprimassent pourtant les excès ; on peut lire dans les registres de la ville de Paris le curieux mémoire adressé à la date du 19 mai 1589 à messieurs les prédicateurs pour advenir et exhorter le peuple. On faisait alors de la morale et de la religion par voie administrative. Les prêcheurs s’acquittaient fort bien de la première recommandation, mais de la seconde ils n’avaient cure, et ils excitaient plus que jamais le fanatisme de leurs paroissiens. Une foule avide se pressait à leurs sermons bien plus qu’au travail des tranchées, où l’on employait les pauvres moyennant un honnête salaire. Enfin les deux Henri parurent aux portes de Paris. La ville allait être investie quand le poignard de Jacques Clément vint arrêter Henri III et assouvir la vengeance des Guises. Ce n’était plus seulement l’insurrection qui triomphait, c’était la monarchie des Valois qui était anéantie. Le meurtre d’Henri III fut une nouvelle victoire pour les seize et un aliment donné aux fureurs de la ligue.


III

La joie que produisit dans Paris la mort de celui qu’on appelait le tyran est impossible à dépeindre ; chez les ligueurs les plus exaltés, elle tenait du délire. Henri IV était aux portes de la ville, il venait d’être reconnu par les troupes royales ; mais au spectacle que donnaient alors les habitans, on ne se serait guère douté qu’ils fussent sur le point d’être assiégés : ce n’étaient que risées et chansons, feux de joie, tables par les rues et festins en plein air. Quoique les malheurs de la patrie fussent grands, ce sot peuple, comme l’appelle L’Estoile, les avait tous oubliés ; on colportait des écrits infâmes contre la victime ; on déversait sur son compte plus d’injures qu’on n’en avait jamais entendu. On poussait contre l’hérétique, qui se déclarait roi de France, des hurlemens de rage ; un sentiment d’horreur s’élevait à la seule idée de le recevoir dans Paris. « Plutôt mourir de mille morts que de souffrir un roi huguenot, » répétait-on. Quant au successeur qu’il convenait de donner à Henri III, les opinions étaient fort divisées. Il y avait d’abord le vieux cardinal de Bourbon, que Henri de Guise avait fait