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et l’ont opposée aux soldats de l’ordre et du droit. Après un règne éphémère et une résistance acharnée, ils ont succombé sans laisser d’autre trace de leur passage que des ressentimens, des dévastations et des ruines. Tout cela s’était déjà présenté à Paris à la fin du XVIe siècle. Il y eut alors, comme il y a trois mois, une commune insurrectionnelle, où l’autorité municipale improvisée usurpa le gouvernement, dirigea les opérations de la défense, et voulut contraindre tous les habitans à prendre les armes contre leurs concitoyens du dehors. Les mêmes désordres et les mêmes fureurs se produisirent ; aux souffrances du siège à cette époque s’ajouta, comme cet hiver, le fléau de la démagogie. Il n’est ni sans intérêt ni sans utilité de mettre en lumière ces ressemblances : elles provoqueront de salutaires réflexions, et pourront éclairer la marche ultérieure des choses. En nous montrant que nos ancêtres avaient déjà passé par des calamités analogues à celles qui viennent de fondre sur nous, l’histoire du Paris de la ligue fortifiera notre espérance de voir bientôt nos plaies se fermer ; si elle ne calme pas nos appréhensions et nos regrets, elle nous inspirera du moins la résignation nécessaire pour supporter notre mauvaise fortune.


I

La mort du duc d’Anjou, arrivée en 1584, apportait à la France, affaiblie par près de vingt-cinq années de guerres religieuses et de dissensions intestines, un nouveau ferment de discordes et de séditions. Henri III n’avait pas d’enfant, et l’héritier présomptif de la couronne devenait un prince protestant, Henri de Bourbon. Le parti catholique, déjà inquiet et mécontent des concessions que le roi de France avait faites aux calvinistes, n’en conçut que plus de défiance contre lui. Henri de Guise et ses partisans s’attachaient à entretenir ces sentimens, et afin de se préparer les voies au trône, le Balafré mettait en avant le vieux cardinal de Bourbon, qui ne pouvait être entre ses mains qu’un docile instrument, et ne présentait pas le danger de faire souche royale. L’agitation catholique reprit donc avec plus d’intensité que jamais, et tous les moyens furent employés afin de neutraliser les intentions d’Henri III, qui tenait son cousin de Navarre pour son successeur légitime, tout en cherchant à le ramener dans le giron de l’église. Bien des passions et des convoitises se mêlaient à la lutte des factions que la différence de religion avait originairement créées. L’acharnement des partis en présence, la persistance de certaines rivalités personnelles parmi les chefs, l’opposition des intérêts, tendaient à ébranler l’ancien édifice social. L’autorité avait perdu de sa force, la couronne de son prestige. Henri III semblait prendre à tâche par sa conduite privée de se rendre