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de dattiers aux branches flexibles. Les ibis, les pélicans, les vautours au col décharné, abondent sur les rives. Les crocodiles du Nil, effrayés par le bruit des machines à vapeur, ont déserté depuis longtemps ces parages ; il faut remonter bien loin dans la Haute-Égypte pour les retrouver. Quant aux hippopotames, ils ne descendent plus au-dessous des cataractes.

Les Égyptiens ont été longtemps intraitables sur la promiscuité des sexes à bord de leurs bateaux, ils sont devenus depuis moins sévères ; mais, quand le trajet d’Alexandrie au Caire se faisait encore par eau, ceux qui voyageaient sans mère, femme ou sœurs, étaient relégués à l’avant du bâtiment. Comme naturellement les célibataires étaient en majorité, on étouffait à la proue pendant qu’on se prélassait à la poupe. Je dus à l’obligeance d’un pasteur protestant, père de sept demoiselles à marier, la faveur d’être admis parmi les passagers privilégiés, Je crois que le colonel, Campbell, lui avait persuadé que je briguais l’honneur d’être un des sept gendres qu’il ambitionnait. Tous les bateaux emportent ainsi, à chaque voyage à destination des Indes anglaises, de véritables cargaisons de blondes misses. Elles trouvent aisément à Bombay ou à Calcutta des époux excellens parmi les officiers de l’armée des Indes. Tout est pour le mieux dans ces mariages d’exportation, car ceux des militaires anglais qui se laissent entraîner dans des liaisons faciles avec les brunes et passionnées beautés du Bengale perdent leur avenir, s’ils ne ruinent aussi leur santé et leur raison.

Il est bien plus pittoresque d’arriver au Caire par Boulak, où on laisse le Nil que par la voie ferrée. On y. trouve d’élégantes voitures qui vous conduisent à fond de train jusqu’à la ville. La route, large, bien entretenue, est toute bordée de sycomores gigantesques ; elle aboutit au jardin où fut assassiné Kléber. C’est là que les voyageurs aiment à se promener ; quand à moi, j’y venais, souvent. J’aimais à y voir quelques beaux vieillards à barbe blanche, accroupis sur de vieux tapis turcs et fumant, impassibles, leurs longues pipes à tuyaux de noisetier ; je m’asseyais à leur côté pour savourer un café noir, épais, exhalant un arôme parfumé. Me suis-je trompé ? il m’a semblé que, lorsque j’examinais trop attentivement quelques groupes, un regard de haine répondait à mon regard curieux. Je n’en fus pas surpris : le fanatisme religieux et l’horreur de l’étranger sont les seuls sentimens capables d’animer d’une grande énergie l’âme de ces hommes énervés. En 2860, à l’époque des horribles massacres de Syrie, au moment où j’entrai dans la grande mosquée d’Amrou, ayant laissé sur le seuil, comme l’usage l’exige, mes chaussures européennes pour les remplacer par des espadrilles turques, mon drogman me saisit tout à coup par le bras et me pria