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pas une Chimène que Marguerite Mirion, et si plus tard elle montra quelque énergie de volonté, ce fut l’effet des circonstances qui forcent notre nature et nous rendent souvent méconnaissables à nous-mêmes ; mais cette âme faible était droite et sincère, la vérité était en quelque sorte son air natal, le seul qu’elle pût respirer sans souffrir.

Elle arriva comme son mari venait de partir pour la chasse. — M. le comte ne sera pas longtemps dehors, car il était bien impatient de revoir madame, lui dit Fanny en la coiffant. Il ne tenait plus en place. Il craignait, je pense, que madame ne s’éternisât à Genève ; quand il a reçu hier votre dépêche, qui l’a rassuré, il avait déjà bouclé sa valise pour aller vous chercher.

— Ne lui est-il point venu de visite pendant ces trois jours ?

— La vieille comtesse a dîné avant-hier avec lui. On s’est tout à fait rapatrié, et si madame me permet de lui raconter…

— C’est bon, dit Marguerite ; tes histoires sont trop longues.

Décidément, pensait-elle. Mme  d’Ornis se fait un système de ne venir ici que lorsqu’un de nous est absent.

Quel ne fut pas son étonnement quand elle aperçut pendu à la muraille du petit salon, dans l’endroit le plus en vue, le portrait de la marquise d’Épinac ! Comment ce portrait se trouvait-il là ? Cette question et la réponse qu’elle y fit l’inquiétèrent. M. d’Ornis ne parut qu’à la nuit. Il salua courtoisement sa femme, s’informa de sa santé, de celle de son parrain ; mais il avait un air singulier, l’air d’un homme qui a quelque chose à dire et qui attend son moment. Il ne causa guère à table. Après le dîner, il fuma un cigare dans le parc, puis il rejoignit Marguerite dans son salon.

— Vous ne me remerciez pas de la surprise que je vous ai faite, dit-il en lui montrant le pastel. Cette peinture est charmante.

— Charmante en effet, répondit-elle en dissimulant de son mieux son émotion.

— Je veux vous expliquer qui était cette jolie blonde, qui en vérité vous ressemble un peu.

Au regard qu’il lui lança, elle comprit qu’il mettait sa bonne foi à l’épreuve. — Je connais cette histoire, dit-elle ; votre mère me l’a contée.

— Vous a-t-elle dit comment la malheureuse s’était brouillée avec son mari ? Par des indiscrétions. Elle ne savait pas distinguer le tien du mien. Ma mère a prétendu que ce portrait vous ferait plaisir ; je suis allé le chercher au grenier. Regardez-le donc de plus près.

— Ce n’est pas la première fois que je le vois, répondit courageusement Marguerite, et ses lèvres ébauchèrent un sourire.