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LA REVANCHE
DE JOSEPH NOIREL

QUATRIÈME PARTIE[1].


X.

Que nos pensées sont changeantes ! Pour avoir aperçu en sortant de la gare de Genève une casquette qu’une main agitait en l’air, Marguerite Mirion, comtesse d’Omis, avait goûté six heures de profond et bienfaisant sommeil. À peine se fut-elle réveillée, il se fit dans son esprit une révolution subite. Elle se reprocha comme une faute irréparable l’imprudence qu’elle avait commise ; elle en prévoyait les suites, qui l’effrayaient. — Il n’y a de sûr dans ce monde que le courage, se disait-elle, et de tous les partis à prendre le plus sage est toujours celui qui coûte le plus. Mon devoir était de confesser à Roger mon indiscrétion involontaire. Je n’ai pas osé. Désormais me voilà condamnée au silence. Si je lui avouais aujourd’hui qu’un hasard m’a rendue témoin de cette horrible scène du grenier, son premier mot serait : vous venez de passer trois jours à Genève ; jurez-moi que vous n’y avez parlé à personne de ce que vous aviez vu et entendu. Que lui répondrais-je ? Ma seule ressource serait de mentir… — Elle s’interrogea pour savoir si elle était capable ou non de ce mensonge. Il lui sembla que c’était une montagne à soulever, que cette montagne retomberait sur elle et l’écraserait. Ce n’était

  1. Voyez la Revue du 15 juillet, des 1er et 15 août.