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ports de la servilité athénienne ; ce chant est le signal de la déchéance définitive. L’intérêt qui s’attache au discours d’Hypéride, prononcé si peu d’années auparavant au milieu d’un autre enthousiasme, généreux et sincère, n’en est que plus vif. Il est précieux pour nous de recueillir les derniers accens mâles et nobles qui aient retenti dans Athènes. Ils s’élèvent au-dessus des misères de la décadence comme la protestation suprême du patriotisme expirant. Ils nous font mieux comprendre la vengeance des bourreaux d’Antipater, mutilant Hypéride avant de le faire périr, et arrachant la langue qui avait flétri d’avance et retardé pour un temps le despotisme macédonien.


III.

Il nous est difficile de lire une oraison funèbre athénienne sans penser aux grandes œuvres qui ont illustré chez nous la chaire chrétienne, et qui restent, malgré quelques protestations récentes, les chefs-d’œuvre de notre éloquence. Le discours d’Hypéride est, après celui de Thucydide, celui qui soutient le mieux un tel rapprochement. On voit facilement par quel mérite : ce n’est point par l’ampleur ni par la majesté, c’est par la passion, et la nature de cette passion, qui est plus ardente chez Hypéride que chez aucun autre orateur des funérailles athéniennes, est peut-être ce qui nous permet le mieux de marquer en quoi consiste la force propre des œuvres que nous sommes portés à comparer ensemble.

« L’oraison funèbre est un genre faux, » a dit un jour un critique de talent à propos d’un excellent livre sur le génie oratoire de Bossuet. Je ne sais si ce jugement est bien sérieux, car une bonne partie des littératures anciennes et modernes tomberait nécessairement sous le coup de sentences analogues, si l’on se mettait à dresser dans le même esprit la liste des genres vrais et des genres faux. À vrai dire, la distinction n’importe guère, elle est sans objet, le principal étant dans la valeur des œuvres, et si l’on relève ici cette boutade renouvelée de Voltaire, ce n’est pas pour défendre Bossuet, qui n’a pas besoin d’être défendu, c’est qu’elle refuse à l’oraison funèbre de notre siècle classique ce qui fait précisément son évidente supériorité sur l’oraison funèbre athénienne. L’orateur chrétien est dans le vrai de la situation, tandis que l’orateur d’Athènes s’en éloigne davantage. Le premier appartient d’abord à la pensée qui domine la cérémonie, à la pensée de la mort. Sans doute la pensée mondaine et la pensée religieuse se confondent dans une même ostentation de magnificence ; mais le prêtre prend à témoin cette pompe elle-même, vainement déployée autour d’un cadavre, ces colonnes du catafalque « qui portent jusqu’au ciel le