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en elles-mêmes et s’y arrête plus que sur aucune autre partie de son sujet.

Ceci donne lieu à une observation assez curieuse : c’est que le discours d’Hypéride ne partage ce caractère historique qu’avec l’œuvre principale que l’antiquité nous ait laissée dans ce genre, l’oraison funèbre que Périclès prononce chez Thucydide sur les premières victimes de la guerre du Péloponèse. Bien que cette oraison funèbre soit en partie une fiction, puisqu’elle est composée par Thucydide, c’est un morceau historique d’une grande valeur. Les paroles de l’orateur n’avaient pas été recueillies, la question d’authenticité n’est donc pas même à soulever, et néanmoins on peut affirmer qu’il parle pendant que l’historien écrit. Le caractère et la disposition générale, les idées, la pensée politique, sinon les phrases du discours original, surtout la grandeur propre d’un esprit sans égal et sans analogue dans la démocratie athénienne, tout cela est fidèlement reproduit par un interprète dont le génie, par certains côtés, se confond avec celui de son modèle. Nous avons sous les yeux une image de Périclès et de sa puissante éloquence. Or c’est cela même qui est digne d’attention, que Périclès ait pu se peindre dans une oraison funèbre, qu’au milieu de cet appareil de formes convenues et de louanges sans mesure se fasse voir une grande figure politique. Elle s’y reconnaît : c’est Périclès, le maître de la foule sur laquelle il s’appuyait, qui rejette avec cette indépendance le joug de l’usage ; c’est lui dont le patriotisme élevé néglige les fables et les récits des victoires passées pour admirer la grandeur présente d’Athènes, souveraine de la Grèce par l’esprit libéral et par l’intelligence ; c’est lui qui, au début d’une lutte décisive, ouvre avec une gravité confiante l’avenir à ses concitoyens émus, comme aux représentans de la civilisation et des destinées naturelles de la patrie hellénique. Il y a un côté éternel dans les idées à la hauteur desquelles il élève sans effort les Athéniens, comme dans l’aisance calme et majestueuse de son langage : ce n’est plus le flatteur pompeux d’une multitude jalouse et vaniteuse, c’est un homme d’état qui nous communique à nous-mêmes sa profonde admiration pour son pays. Voilà pourquoi le discours d’apparat qui, pour le fond, se conforme le moins servilement aux traditions du genre, en est sans doute le chef-d’œuvre.

Hypéride n’a pas cette grandeur sereine. On ne sent pas en lui le dominateur de la foule réunie pour l’écouter ; mais il ne semble pas moins hardi, sinon comme politique, du moins comme orateur de cérémonie funèbre. De même il bannit ou fait rentrer dans l’idée présente les développemens conventionnels. — Pour Périclès, il s’agissait de mettre les âmes au niveau de la lutte décisive où la patrie s’engageait ; il est l’interprète de l’enthousiasme excité par la vic-