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cette proposition Rivet, qui a jeté l’émoi dans le monde parlementaire ? Elle peut se résumer en quelques traits. Les pouvoirs de M. Thiers sont prorogés pour trois ans avec le titre nouveau de président de la république. Si d’ici à trois ans l’assemblée décidait qu’elle doit se dissoudre, M. Thiers conserverait la présidence jusqu’à la constitution d’une assemblée nouvelle, qui à son tour aurait à prononcer sur l’organisation du pouvoir. Jusque-là, M. Thiers exerce toutes les prérogatives essentielles du gouvernement, choix des fonctionnaires, représentation diplomatique, nomination et révocation des ministres, qui restent responsables devant l’assemblée. C’est une ébauche ou un commencement de constitution ; mais ce n’est pas tout. À peine M. Rivet avait-il présenté son projet que d’un autre coin de l’assemblée partait une seconde motion qui propose d’attester la confiance que la chambre et le pays mettent toujours dans la sagesse et le patriotisme de M. Thiers en confirmant et en renouvelant les pouvoirs qui lui ont été confiés à Bordeaux. Voilà la question telle qu’elle s’est posée devant l’assemblée, telle qu’elle reste encore. Le travail de la commission qui sera nommée consistera évidemment à fondre ces nuances diverses de la proposition Rivet et de la proposition Adnet pour arriver à un vote qui exprime à peu près la pensée générale en donnant une certaine fixité au pouvoir, en l’entourant de quelques garanties de plus.

Puisque la question a été soulevée, il n’y a plus qu’à la résoudre en donnant aux intérêts, au travail, au crédit, la satisfaction qu’ils demandent, en évitant surtout de laisser ouvrir une crise nouvelle qui ne pourrait que mettre le pays en péril. Il ne faut pas cependant se faire illusion et se hâter de croire qu’on remédie à tout par un vote, qu’il y a une grande différence entre l’état actuel dont M. Adnet demande le maintien et l’ordre nouveau que M. Rivet propose de créer. Oui sans doute, trois ans de pouvoir, c’est de la stabilité, c’est le provisoire fixé, si l’on veut ; mais enfin qu’y a-t-il de changé essentiellement dans notre situation ? Elle est à peu près la même ; elle n’est pas plus à l’abri des petites tempêtes de tous les jours et de l’imprévu des événemens. Les conflits mêmes qui ont peut-être suggéré ou encouragé la pensée d’une prorogation de pouvoirs, ces conflits n’existent pas moins, et se reproduiront évidemment plus d’une fois encore parce qu’ils sont dans la nature des choses, parce qu’il n’y a pas moyen d’éviter ces chocs d’opinions sur les questions les plus difficiles d’administration ou de gouvernement. Allons plus loin : l’assemblée, en donnant des pouvoirs pour trois ans, no se dessaisit en aucune façon de sa souveraineté ; qui peut l’empêcher d’user de cette souveraineté ? qui peut enchaîner ses résolutions ? Elle n’est liée après tout, que par des considérations d’intérêt public qui peuvent toujours changer, ou par le respect de sa propre volonté. Tout cela veut dire qu’en dehors de toutes les conditions de fixité qu’on peut imaginer pour se créer l’impression de la durée et de la stabilité, la meil-