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goût de ne pas tout refuser au pouvoir exécutif, et en fin de compte la loi a été enlevée à une majorité considérable, bien entendu sans le concours de la vieille gauche, qui a soin de se tenir en garde contre toute témérité de libéralisme.

En quoi consistent les modifications qui ont été le gage de la paix entre l’assemblée nationale et le gouvernement ? Elles atténuent peut-être la loi dans quelques-unes de ses dispositions sans en altérer l’esprit. La présidence des commissions départementales sera déférée au doyen d’âge au lieu d’être dévolue à l’élection. Les préfets ne sont point entièrement étrangers aux délibérations de ces commissions : ils gardent une part de la tutelle administrative ; ils interviennent dans le concert qui peut s’établir entre plusieurs départemens pour certaines mesures d’intérêt commun. Qu’on ne s’effraie pas trop, les préfets restent et resteront encore les préfets beaucoup plus qu’on ne le croit, et, si hardie que paraisse au premier abord cette réforme si contestée, elle n’ira pas de si tôt jusqu’à transformer les mœurs administratives françaises. Si quelque chose peut altérer ces mœurs, déjà singulièrement faibles, ce serait beaucoup moins la loi nouvelle que des motions comme celle qui s’est produite, et qui proposait de faire des commiissions départementales des corps rétribués. Il y a une école qui a trouvé jusque dans la chambre un étrange organe, un député radical de Toulon, et dont l’idéal est une démocratie salariée ; à ses yeux, le salaire est la condition essentielle de l’égalité politique. Quand les commissions départementales seront payées, on ne tardera pas sans doute à réclamer une rémunération pour les conseils-généraux eux-mêmes. Après les conseils-généraux, il faudra aussi que les conseils municipaux aient bientôt leur salaire, et nous ne savons pas en vérité si le démocratique conseil municipal de Lyon n’a pas déjà pris les devans. Puis enfin nous tous, citoyens électeurs, qui avons à nous déranger pour porter notre vote, nous demanderons à être payés pour remplir nos fonctions : il faut bien que tout le monde vive. Et c’est ainsi qu’on prétend arriver à former des mœurs libres, c’est à-dire des mœurs viriles, façonnées par le dévonment aux intérêts publics, par l’active et indépendante énergie de Tinitiaiive individuelle ! Pour nous, toute réflexion faite, nous ne pouvons réussir à voir dans le salariat des fonctions électives ni une condiiion d’égalité, ni un signe de virilité, ni même une garantie d’indépendance ; nous n’y voyons qu’un acheminement direct vers la servilité, une satisfaction grossière jetée aux ambitions subalternes et besogneuses. La loi nouvelle de décentralisation a refusé de consacrer ce progrès tout césarien ; ce n’est point apparemment pour cela qu’elle aura une bien fâcheuse influence sur nos destinées ! À la dernière heure, un des plus honorables membres de l’assemblée, M. de Treveneuc, aurait voulu ajouter à la loi un supplément tout politique, et il a développé son projet dans