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que, lorsqu’il crie vire la république, il faut entendre tout le contraire de ce qu’implique ce mot. Vive la république, pour lui cela signifie à bas les bourgeois, tandis que pour tout homme sensé ce même mot signifie vivent les bourgeois et tout ce qui leur ressemble de près ou de loin.

Cette singularité nous conduit à poser cette question : voici quatre-vingts ans que la révolution française est venue au monde, et cependant le peuple ne connaît pas encore la valeur exacte des termes qu’elle emploie. À qui la faute en revient-elle ? n’est-ce pas au parti qui s’est toujours posé comme le représentant exclusif de la révolution, et qui s’est toujours réservé le monopole de l’éducation politique du peuple ? Comment le peuple est-il si mal instruit, et d’où sortent toutes les formules fausses qu’il a engrangées dans son cerveau comme la plus précieuse des moissons ? Par exemple, lorsqu’il prononce le mot de démocratie, le peuple entend par là un gouvernement issu des couches inférieures de la nation, fait par elles toutes seules et à leur profit exclusif, interprétation puérile encore plus qu’erronée, car elle repose sur une équivoque. Il s’agit de s’entendre sur le sens qu’on doit donner au mot peuple. Comment se fait-il que ses docteurs jurés ne lui aient pas encore expliqué que ce mot peuple doit s’entendre dans le sens de populus et non dans le sens de plebs, et par conséquent que souveraineté, du peuple signifie souveraineté de la nation et non pas souveraineté des couches inférieures de la population ? S’ils le lui ont dit, comment se fait-il qu’après quatre-vingts ans d’éducation le peuple n’ait pas encore compris un principe aussi évident ? Et s’il l’a compris, comment expliquer des révoltes comme celles de mai et de juin 1848, comme celle de la commune de 1871 ? Si au contraire ils ne lui ont pas expliqué ce principe, quel jeu jouent-ils donc, et quel but poursuivent-ils ? Nous avons bien le droit de le demander, car certainement ce but ne peut être la démocratie ; mais, s’il consiste à précipiter les citoyens les uns contre les autres et à les faire s’égorger, nul moyen n’est mieux trouvé qu’un tel absurde malentendu. Nous savons combien les querellas de mots sont terribles, que de disputes peut soulever une diphthongue, et que de flots de sang peuvent couler pour la différence qui sépare omousios d’omoiousios. Rien qu’une pareille erreur suffit pour perdre à jamais une doctrine. Comment veut-on que la révolution française engendre autre chose que des ruines lorsque ceux qui se prétendent ses dépositaires en expliquent si bien le sens aux multitudes ?

Autre exemple de formule fausse et encore plus dangereuse que la précédente. La révolution jusqu’à présent accomplie n’est qu’une première étape. Les classes moyennes sont arrivées par cette révo-