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qu’on lui enseigne que la république est le gouvernement naturel de la démocratie, on lui enseignera un fait de toute fausseté. Ce n’est pas la république, c’est bien plutôt la monarchie qui est le gouvernement naturel aux démocraties. La république est une des plus nobles formes de gouvernement qui existent, peut-être la plus noble; mais elle est par excellence la forme politique propice aux aristocraties. Elle est d’essence tellement aristocratique qu’on peut prédire que dans tout pays démocratique où elle s’établira, ou bien elle aboutira au bout d’un temps plus ou moins long à une oligarchie très sévèrement exclusive, ou bien elle sera renversée par le peuple, qui lui substituera la monarchie. Ce double fait, qui se reproduit invariablement dans l’histoire des républiques, et qui ne peut pas ne point se reproduire, car il est dans la nature fatale des choses, se laisse lire surtout en caractères d’une précision toute classique dans la double histoire de Venise et de Florence. A Venise, la république a reposé longtemps sur des bases toutes démocratiques; cependant, par le seul jeu des institutions, cette démocratie s’usa de siècle en siècle, et finit par aboutir au coup d’état nocturne qui élimina des magistratures de la république les trois quarts des citoyens. A Florence, le fait contraire a lieu, le peuple, soupçonneux comme l’est le nôtre, ne croit jamais la démocratie assez protégée, et procède par larges voies d’exclusion; il use trois ou quatre couches successives d’aristocraties afin de rapprocher de plus en plus la république de ses rangs; il use et proscrit d’abord l’aristocratie militaire d’origine germanique, puis la noblesse citoyenne d’origine plus strictement florentine, puis celle des hautes classes moyennes, les Albizzi. Quand il a successivement tout éliminé, comme il ne reste plus rien que lui, alors il s’élimine à son tour, et, embarrassé qu’il est de lui-même, il remet le poids de son propre fardeau sur les épaules des Médicis. Dans les Provinces-Unies, société démocratique s’il en fut, le peuple n’a jamais pu supporter la république, et toutes les fois qu’elle y a dominé, il a toujours conspiré pour remettre le pouvoir aux héritiers de la maison d’Orange. En Angleterre, le parti républicain ne fut jamais populaire; c’est le parti whig, exclusivement composé des élémens les plus oligarchiques de la nation. L’exemple le plus frappant peut-être de l’antipathie naturelle au peuple pour la république, c’est un des plus anciens, celui de Rome. La république romaine n’était point exclusivement aristocratique : c’était un véritable gouvernement mixte où les divers élémens sociaux avaient été pondérés avec une sagesse admirable. Ce fut dans l’ordre des républiques ce que le gouvernement anglais est dans l’ordre des monarchies; pourtant, même sous cette forme mixte, où tous ses droits étaient garantis, où il pos-