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encore de mes voisins. Les uns étaient absens, d’autres se trouvaient au logis. J’en emmène le plus que je puis de ceux que j’avais trouvés; nous prenons des torches dans une boutique tout près de la maison, et nous revenons. La porte sur la rue était ouverte, grâce à la servante, qui se tenait auprès; nous poussons celle de la chambre. Ceux qui entrèrent les premiers et moi, nous voyons Ératosthène encore couché près de la femme; les derniers venus l’aperçoivent qui se dresse nu sur le lit. Pour moi, je me jette sur lui, je le frappe, je le renverse, je lui ramène et je lui lie les bras derrière le dos; puis je lui demande pourquoi il a ainsi pénétré dans ma maison pour l’outrager. Il avoue qu’il est coupable, mais il m’implore, il me conjure de ne pas le tuer, d’exiger seulement une somme d’argent. Je lui réponds : « Ce n’est pas moi qui te tuerai, mais la loi de la cité, que tu n’as pas craint de transgresser pour aller à tes plaisirs; tu as mieux aimé commettre envers ma femme et mes enfans une telle faute que d’obéir aux lois et de te conduire en honnête homme. » C’est ainsi, ô juges! qu’il subit le sort que les lois réservent à ceux qui agissent comme il l’avait fait; mais ce n’est point après avoir été saisi et entraîné en pleine rue, ou, comme le disent mes adversaires, après s’être réfugié en suppliant au foyer. Comment l’aurait-il pu? Il était dans ma chambre, je l’ai tout de suite frappé et renversé à terre, je lui ai lié les bras derrière le dos. La pièce était d’ailleurs toute pleine d’hommes auxquels il ne pouvait échapper, n’ayant arme de fer ni de bois, ni aucun autre moyen de se défendre contre tous ceux qui s’étaient précipités dans la maison. »


On assurait que deux fois seulement il était arrivé à des plaidoyers écrits par Lysias de ne pas obtenir le succès désiré. Quelque soin que notre orateur pût apporter, comme les avocats qui se respectent, à bien choisir ses causes, quelle que fût la supériorité de son talent, il paraît difficile qu’il n’y ait point là quelque exagération. En tout cas, ce ne fut point le procès d’Euphilétos qu’il perdit. A lire ce discours, nous nous sentons entraînés à prendre parti pour le mari outragé; il nous paraît impossible que les Athéniens n’aient pas senti de même. La vie humaine est plus respectée chez nous qu’à Athènes, et pourtant aujourd’hui encore, si les faits allégués étaient confirmés par le dire des témoins, le plaidoyer de Lysias arracherait certainement à un jury français un verdict d’acquittement.


IV.

C’est surtout comme auteur de nombreux plaidoyers civils et criminels que l’antiquité admirait Lysias; ce fut là en effet le plus or-