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més et comme vaincus d’avance, une lutte de parole avec ces privilégiés qui avaient fait de l’art de parler l’étude principale de leur vie ?

À l’assemblée, au sénat, ceux qui ne se sentent point éloquens en sont quittes pour écouter et se taire. C’est ainsi que, malgré l’appel adressé à l’ouverture de la séance, par la voix du héraut, à tous les Athéniens, il n’y a jamais qu’un petit nombre de personnes, toujours les mêmes, qui prennent part aux discussions. Ces personnes sur qui porte d’ordinaire tout le poids du débat, ce sont les orateurs οἱ ῥήτορες. Il en est ainsi dans nos chambres, où la plupart des députés n’abordent jamais la tribune.

Devant le jury, on n’avait point, comme au Pnyx, la ressource de l’abstention et du silence. Tout Athénien pouvait avoir soit à défendre sa fortune, son honneur et sa vie contre l’agression d’un ennemi, soit à prendre l’offensive pour résister à d’injustes prétentions. Les Grecs ont toujours été prompts à la dispute. Depuis qu’Athènes est devenue une cité policée, dotée par Solon et ses successeurs d’une législation admirée et respectée, on a perdu l’habitude de s’y faire justice à soi-même ; mais en revanche les procès y sont fréquens. Comme juges ou comme plaideurs, les Athéniens y trouvent une distraction et des émotions qui leur sont chères ; c’est Aristophane qui a suggéré à Racine son Perrin Dandin, et les Guêpes sont une immortelle satire de ces goûts processifs des Athéniens. Il n’est donc personne, si humble de situation et de fortune, ou si doux de caractère qu’il puisse être, qui se sente assuré de ne jamais aller devant le tribunal. Il eût été difficile, j’imagine, de rencontrer alors dans Athènes un citoyen n’ayant pas, au moins une fois dans sa vie, lancé ou reçu une assignation, comparu comme demandeur ou comme défendeur. Comment donc s’en tirer, si l’on avait en face de soi un adversaire qui maniait bien la parole ? Les juges étaient gâtés par les orateurs de profession qui paraissaient souvent à leur barre ; comment s’en faire écouter, si on n’était point capable de leur parler le langage auquel ils étaient accoutumés ? Ce fut alors que, comme il arrive souvent en pareil cas, la force des choses suggéra un expédient qui diminua le mal, qui écarta tout au moins l’imminence du danger. Cet expédient était trop original, il est resté trop particulier à Athènes, pour ne pas mériter toute notre attention. Ni à Rome, ni dans le monde moderne, on ne trouve rien de pareil.

On n’eut l’idée ni d’appeler des avocats officieux, comme ces patroni que Rome a connus presque dès son origine, ni d’instituer une corporation de légistes chargés, comme les membres de notre barreau, de représenter le plaideur. De l’une ou de l’autre manière,