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convenu ? Ce serait une rechute. Quoi qu’il en soit, pour que l’on ait attribué ces pages à Lysias, il faut que l’on ait eu de lui des ouvrages écrits dans ce goût. Le recueil nous offre encore un autre opuscule qui a quelque chose de ce même caractère ; il est intitulé Accusation d’injure contre des camarades πρὸς τοὺς συνουσιάστας κακολογιῶν. Ce singulier petit discours n’est ni un plaidoyer, ni un simple exercice d’école ; il faudrait peut-être y voir plutôt une lettre dont le thème, une renonciation formelle à l’amitié de gens par qui on a été trahi, est développé à la manière des sophistes. Cette froide et obscure composition ne mérite pas d’ailleurs qu’on s’y arrête. Hâtons-nous d’arriver à des œuvres plus dignes de nous occuper et de nous retenir. Lysias sophiste n’était qu’un disciple de plus parmi tant d’autres qui s’évertuaient à marcher sur les traces de Tisias et de Gorgias. Qu’il fût resté dans cette voie, son nom n’aurait échappé à l’oubli que grâce à l’honneur que lui a fait Platon de le railler et de le parodier. Le véritable Lysias, le seul qui tienne à juste titre une grande place dans l’histoire des lettres grecques, c’est le Lysias des vingt dernières années, Lysias homme de parti et avocat, dégoûté des vains jeux de la rhétorique, parlant, soit en personne, soit par la bouche de ses cliens, aux citoyens rassemblés sur le Pnyx et devant les tribunaux.

La réputation de Lysias et sa supériorité s’expliquent par le tact avec lequel il a su approprier le plan, le style, tout le caractère de ses discours, aux conditions très particulières que les habitudes athéniennes imposaient à celui qui faisait profession d’écrire des plaidoyers. Lysias est le type le plus accompli et comme l’idéal du logographe ou de l’avocat athénien, qui différait à beaucoup d’égards de l’avocat romain ou de l’avocat dans les sociétés modernes. Pour bien faire comprendre l’originalité de Lysias, il nous faut revenir avec quelque détail sur ce qui n’a été qu’indiqué dans une précédente étude à propos d’Antiphon, le premier qui ait donné l’exemple d’aider de son talent les plaideurs embarrassés pour composer eux-mêmes les discours qu’ils devaient prononcer devant le tribunal[1].

Le mot d’Aristote cité au début de cet essai traduit fidèlement l’idée athénienne ou plutôt l’idée antique : chaque citoyen, pour être complet, doit suffire à toutes les exigences et à tous les devoirs de la vie publique. Rompu dès l’adolescence aux exercices gymnastiques, exercé ensuite au métier des armes, tout Athénien, en

  1. Voyez la Revue du 1er février 1871. Le véritable caractère du logographe athénien et les différences qui le distinguent de l’avocat moderne ont été pour la première fois aperçus et signalés chez nous par M. Egger, dans une intéressante étude qu’il a recueillie dans ses Mémoires de littérature ancienne, p. 355.