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tres, souffert du despotisme, mais qui avait prouvé par de grands sacrifices son attachement à la démocratie. Il proposa et fit voter un décret qui conférait à Lysias le droit de cité. Par malheur, le décret fut attaqué comme contraire aux lois par l’orateur Archinos, lui aussi un des exilés de Phylé. Le seul motif d’Archinos, c’était sans doute qu’il était jaloux de la réputation et de l’influence que possédait alors Thrasybule ; Lysias paya les frais de la rivalité de ces deux chefs populaires. En vain composa-t-il pour Thrasybule, en y mettant tout ce qu’il avait d’art et de talent, le discours que celui-ci prononça pour soutenir sa proposition ; Archinos exploita contre Lysias le préjugé populaire hostile aux sophistes: il obtint gain de cause. Le décret fut cassé, et Thrasybule condamné à une amende. C’était pour cet homme d’état un affront qui lui fut très sensible : il était dur de ne pas trouver plus de déférence pour ses vœux chez ceux que l’on avait délivrés. Irrité de cette ingratitude, Thrasybule se serait écrié : « Pourquoi me suis-je donné la peine de sauver de pareilles gens ? »

Ainsi débouté de ses prétentions à ce titre de citoyen qu’il avait si bien mérité, Lysias ne semble pas avoir fait d’autres tentatives pour l’obtenir : il se contenta de l’isotélie, sorte de situation intermédiaire entre celle du citoyen d’Athènes et de l’étranger domicilié. Celui auquel était accordée cette faveur était dispensé des obligations spéciales qui incombaient aux métèques ; il supportait les mêmes charges que les citoyens, et jouissait comme eux de tous les droits civils ; seuls, les droits politiques lui étaient refusés. Cela répondait à ce que les Romains appelaient « le droit de cité sans le suffrage et les honneurs, » jus civitatis sine suffragio et honore.

Ce fut vers ce temps qu’eut lieu un événement dont l’importance est capitale dans la vie de Lysias, et qui exerça sur son talent une influence décisive. L’amnistie n’avait fait d’exception que pour les trente et pour quelques autres citoyens qui avaient été les instrumens de leurs cruautés ; encore ces personnes mêmes pouvaient-elles rentrer, à la condition de se soumettre, aussitôt de retour, à l’épreuve par laquelle, en sortant de charge, passaient tous les magistrats, tous les généraux d’Athènes. Il leur faudrait venir devant le jury rendre compte de leurs actes : s’ils étaient acquittés, le passé était oublié ; dans le cas contraire, ils avaient à subir la peine qu’il plaisait au tribunal de leur infliger. Le parti démocratique, fier de sa victoire, heureux des éloges que lui avait attirés sa modération, ne paraissait point disposé aux représailles ; quelques-uns des moins gravement compromis parmi les soutiens du dernier régime se hasardèrent à courir les chances de ce jugement ; on leur sut gré de leur confiance dans la justice de leur pays, et ils furent acquittés. Cet exemple encouragea Ératosthène, celui-là même qui