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leur argent dans de fructueuses spéculations. Beaucoup ne faisaient que passer, mais ceux qui réussissaient et qui se plaisaient à Athènes, s’ils arrivaient très rarement au droit de cité, dont la république était fort avare, obtenaient du moins très aisément de se fixer dans l’Attique et d’y vivre sous la protection des lois civiles d’Athènes. Il leur suffisait de trouver parmi les citoyens un patron qui se portât garant de leur exactitude à payer la taxe et à remplir les obligations auxquelles ils étaient assujettis; taxe et obligations n’avaient rien d’oppressif, car, pendant les années heureuses d’Athènes, le nombre des métèques allait toujours en augmentant. Armateurs, négociants, banquiers, industriels, ces étrangers, parmi lesquels, à partir du IVe siècle, on compta beaucoup de Phéniciens, rendirent à Athènes de grands services. Ils avaient des correspondans et des comptoirs dans leur pays natal; c’étaient eux qui produisaient la plupart des objets qu’exportait le Pirée, eux qui possédaient une partie des capitaux au moyen desquels la place d’Athènes soldait ses achats. Ce n’était d’ailleurs pas seulement ainsi qu’ils travaillaient à la grandeur et à la prospérité d’Athènes; dans cette patrie des arts et des lettres, ceux d’entre eux qui étaient heureusement doués s’éprenaient de toutes ces belles choses, et s’associaient au mouvement et à la vie des esprits. L’exemple de Lysias n’est pas isolé : un certain nombre d’hommes dont les œuvres et les travaux honorent Athènes appartenaient à cette classe des étrangers domiciliés.

En 403, ce qui désigna les fils de Képhalos, Polémarque et Lysias, à l’avide cruauté des trente, ce fut moins la réputation de ce dernier comme sophiste que la richesse bien connue de sa maison. Les maîtres d’Athènes avaient comme pris à tâche de discréditer sans retour ce parti oligarchique dont ils se disaient les représentans. On avait pu croire d’abord que c’était au nom d’une idée et d’un intérêt de caste que, vainqueurs, ils frappaient leurs ennemis politiques; mais bientôt ils avaient jeté le masque et abjuré toute pudeur, le pouvoir n’était pour eux que le moyen de satisfaire les convoitises et les passions les plus effrénées, la cité n’était qu’une proie à dévorer. Les métèques avaient de l’argent; on donna pour prétexte qu’ils étaient hostiles à l’état de choses d’alors, et on décida la mort de dix d’entre eux, dont huit étaient parmi les plus opulens. Leurs biens seraient confisqués, et on se partagerait leur dépouille. Il faut lire le récit de Lysias, tout animé, sous son apparente froideur, d’une indignation profonde :


« Ils me surprirent, raconte-t-il, ayant à ma table des hôtes; ils les chassent et me remettent à Pison; les autres, s’étant rendus à l’atelier, dressent la liste des esclaves qui y travaillaient. Pour moi, je demandai