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ron 2,000. Leur évêque, Mgr Raphaël, auquel la Porte s’est empressée de reconnaître le titre de chef de communauté en lui donnant place au mesliss à côté de l’archevêque grec, ne cache pas son peu de sympathie pour les Polonais. Deux pères assomptionistes de Nîmes et quatre sœurs du même ordre viennent de fonder une nouvelle école et d’ouvrir une nouvelle église dans la capitale du vilayet ; cette mission, bien qu’elle ait des revenus médiocres, rendra des services par son dévoûment et sa charité ; il ne faut guère espérer qu’elle reprenne avec succès l’œuvre dans laquelle ont échoué les Polonais.

Bien qu’Andrinople soit en pays bulgare, la population de la ville est surtout ottomane et grecque ; l’archevêque orthodoxe estime à 30,000 le nombre de ses coreligionnaires, le vali à 30,000 également celui des Turcs. La ville renferme aussi un nombre exceptionnel de Juifs, plus de 8,000, les uns originaires du Levant, les autres venus d’Espagne au XVIe siècle. On peut porter à 2,000 le chiffre des Arméniens ; les Bulgares, presque tous cultivateurs et peu puissans, forment le reste de la population. Les petits boutiquiers et les ouvriers grecs sont ici tels que nous les avons vus sur la côte, tels qu’on les voit partout ; mais Andrinople possède une société polie où les Hellènes tiennent la place principale, et qui se fait honneur de suivre les usages de l’Europe. Les femmes y jouent du piano et y portent les modes de Paris, les hommes y lisent nos livres ; il est facile d’y trouver des interlocuteurs qui parlent français. On est si surpris de rencontrer les habitudes de France ou tout au moins l’extérieur de notre civilisation sur les bords de l’Hèbre qu’on serait mal venu à regarder cette société avec un esprit trop critique. Mieux vaut accepter simplement l’accueil cordial qu’elle vous fait, et passer le soir quelques heures de repos dans ces grands salons du Levant meublés d’air et de lumière, au milieu de femmes qui ont toujours un peu l’étrangeté de l’Orient, au milieu d’hommes qui recouvrent de notre langage une pensée si différente de la nôtre. On fume des cigarettes sur des divans, tout en buvant le café et en prenant des confitures. Si d’Alexandrie jusqu’à la Mer-Noire et jusqu’au fond de la Thrace le même piano joue toujours les mêmes airs, cette monotonie n’a rien qui doive choquer en ces climats. On pense bien aussi que ce ne sont pas les modes les plus nouvelles qui, malgré l’impatience des dames du pays, arrivent dans ces petits centres européens. Je sais en Orient une ville isolée où on adore la France et où la société est charmante. Un concours bizarre de circonstances a voulu que la belle société y conservât jusqu’à ce jour les modes élégantes de 1820. Les hommes y portent des jabots et des manchettes de dentelle, les femmes des robes qu’on