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mens rendus par le cadi ou du silence des chrétiens qui ont simplement apposé leur cachet au bas d’une sentence qu’ils savaient injuste. Si imparfaite que soit la loi actuelle, les chrétiens doivent accepter ce qu’elle a de bon ; qu’ils soient des juges sérieux et intègres, surtout qu’ils sachent bien que la liberté ne se conquiert pas par des compromis. Ils ont raison, rien au monde n’est plus précieux que l’indépendance, mais ceux qui en sont privés n’ont-ils jamais aucun reproche à se faire ?

On trouve au séraï huit bureaux de finances, quatre pour les revenus du sandjak d’Andrinople, quatre pour ceux du vilayet tout entier. Le bureau de l’emelac pour le sandjak perçoit les droits sur les ventes, les héritages, conserve les titres de propriété ; celui de l’escaf touche les redevances dues autrefois aux mosquées, et que l’état s’est attribuées il y a quelques années ; le troisième est chargé des passeports ou teskérés, qui sont soumis à une taxe. D’après la loi, un habitant ne peut faire une courte absence sans un permis qui indique le nom et le domicile du voyageur ; dans la pratique, ces prescriptions sont rarement observées. Le quatrième bureau, plus important que les précédens, centralise les dîmes, la capitation, la taxe dite du rachat militaire et tous les autres impôts. On ne comprend pas aisément comment fonctionnent ces quatre services. Vous venez faire constater une hypothèque, l’employé vous donne une attestation écrite, mais n’en garde aucune inscription, ce qui, selon nos habitudes, est tout à fait bizarre. En échange du droit sur les héritages ou sur les ventes, le contribuable ne voit pas ses titres de propriété transcrits sur des registres publics, les impôts de cette classe ne sont en réalité que des droits de timbre. De longues bandes de papier portent l’indication des biens des mosquées, des propriétés de l’état, et le cadastre, ou ce qu’on appelle de ce nom en Turquie ; mais comment se reconnaître sur ces rubans, surtout si le fonctionnaire n’a pas un zèle irréprochable ? Il en est de même pour tous les états, auxquels, dirait-on, il faut sans cesse recourir. Les quatre bureaux chargés de réunir les revenus du vilayet ont les mêmes noms que les bureaux du sandjak, mais des attributions plus larges. On y remarque de grands sacs de cuir à deux poches qui servent à porter l’argent à Stamboul ; le directeur des finances charge ces sacs sur un cheval, et le Tatar s’en va avec ces trésors au milieu des solitudes de la Roumélie jusqu’à la capitale.

La plupart des impôts sont affermés. C’est le conseil d’administration qui les adjuge, c’est-à-dire le gouverneur. La loi défend au vali de s’attribuer lui-même les fermes : on voit facilement qu’il lui est aisé de trouver des prête-noms et surtout de favoriser qui lui plaît. Ce système des fermes est déplorable. Une anecdote entre mille. Dimitraki, qui est influent et possède un capital disponible,