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écarter un tiers des noms, et nomme ensuite le membre qui lui plaît, ce qui équivaut à la nomination directe par l’autorité.

Le § 13 du hatti-houmaîoum est ainsi conçu : « Il sera procédé à une réforme dans la composition des conseils provinciaux et communaux pour garantir le choix des délégués des communautés musulmanes, chrétiennes et autres, et la liberté des votes dans les conseils. Ma Sublime-Porte avisera aux moyens les plus efficaces pour connaître exactement et contrôler les résultats des délibérations et des décisions prises. » La Turquie, comme on le voit, ne s’est pas compromise par des promesses formelles ; une certaine solennité vague est le ton ordinaire de ses déclarations diplomatiques. Cependant il a suffi qu’elle mît dans la loi des vilayets le mot élection pour que les publicistes d’Occident se fissent l’idée la plus étrange de ces réformes. N’a-t-on pas écrit des phrases comme celle-ci : « l’institution des vilayets établit une participation de tous à la gestion de leurs intérêts, c’est en un mot une égalité de droits et de devoirs qui dépasse toutes les espérances, » ou encore : « les conseils provinciaux et communaux sont élus au moyen du suffrage universel ; les chrétiens ont leur part dans les affaires publiques, la loi leur accorde les mêmes droits qu’aux musulmans ; l’autorité ne présente jamais ses candidats aux électeurs, elle n’exerce pas la moindre influence sur les élections ? »

Pour admettre un seul instant de pareilles affirmations, il faut connaître bien peu la Turquie. Dans la province d’Andrinople par exemple, qu’est le grand mesliss ? Une assemblée où le président est Turc ; viennent ensuite les cinq premiers fonctionnaires du gouvernement, tous Osmanlis, puis deux musulmans élus, en tout huit musulmans. À côté d’eux, nous trouvons l’archevêque grec, l’évêque bulgare-uni, le rabbin et deux chrétiens, c’est-à-dire cinq non-musulmans. L’évêque bulgare-uni n’a aucune autorité ; chef d’une petite communauté sans influence, il est de plus l’adversaire naturel de l’archevêque grec ; j’en dirai autant du rabbin. Depuis Mahomet II, les Juifs ont toujours été les serviteurs dévoués des Turcs. Quant à l’archevêque orthodoxe, il faut se garder de croire qu’il représente une opposition active ; sauf quelques rares exceptions, les chefs du clergé grec sont de véritables Byzantins. Ils exploitent leur évêché comme le vali sa province ; ils ont besoin de l’autorité musulmane pour maintenir les fidèles dans l’obéissance, pour toucher les redevances qui leur sont dues. Ce sont le plus souvent des moines d’une surprenante ignorance, qui n’ont que bien peu l’intelligence et l’activité propres à leur race. Il faut reconnaître que de longs siècles de soumission ont contribué à leur faire perdre le sentiment de leur dignité. Le patriarche de Constantinople du reste leur donne l’exemple ; on sait par quel discours, rempli