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un raisonnement. Ici, à Andrinople, une maison chrétienne où je vais quelquefois a pour propriétaire une jeune femme turque de condition assez ordinaire ; il est intéressant de l’entendre discuter avec le chef de la famille, refuser ou promettre une réparation, réfuter les mauvais argumens. Pour parler à travers un voile de tulle qui relève sans doute sa beauté et donne à ses yeux un éclat éblouissant, pour cacher sa taille sous les vastes plis d’un domino rose, cette petite personne ne manque ni d’esprit, ni de fermeté ; elle en remontre aux Grecs eux-mêmes. Du reste, dans cette capitale du vilayet, le voyageur a un sujet d’études qui peut l’instruire : ce sont les écoles mixtes ottomanes. Filles et garçons s’y trouvent confondus, chaque banc compte une vingtaine d’écoliers des deux sexes, le plus capable est le moniteur des autres. J’ai toujours remarqué que les filles avaient le privilège de régenter les petits garçons. Il faut les voir diriger la lecture, imposer silence, choisir les modèles, conduire la main de ceux qui apprennent à écrire. Leurs figures très fraîches que ne cache pas encore le voile des femmes, leurs robes de couleurs voyantes semées d’or, relevées par de grandes fleurs rouges et vertes, donnent à ces maîtresses d’école un air étrange et charmant ; votre visite ne les effraie guère, elles ont la gaîté des enfans les plus aimables. L’école finie, elles chaussent leurs babouches et s’en vont gravement, leur Coran sous le bras. L’infériorité native des femmes dans ces contrées vis-à-vis des hommes est une chimère. À Brousse, où on emploie les paysannes turques dans les fabriques de soie, elles sont des ouvrières excellentes. Il est telles dames osmanlis du Bosphore qui savent le français et envoient régulièrement leur eunuque acheter à Péra, à l’arrivée des paquebots de Marseille, nos romans du jour. Ce sont là, il est vrai, des exceptions, mais ne sait-on pas que beaucoup ont une instruction orientale assez développée et se plaisent à la poésie ? Avec le temps, dans le harem, cette vie d’intrigues et de querelles sans fin, l’abandon où la plupart tombent forcément, l’abus des sucreries et des cigarettes, peuvent atteindre en partie leur santé et par suite leur intelligence ; elles gardent encore assez d’esprit pour avoir sur les hommes une grande influence. N’en point tenir compte quand on se propose en Turquie de devenir un personnage de quelque importance, ce serait négliger une grande force.

Les divisions administratives turques sont très simples : un vilayet ou province est partagé en arrondissemens ou sandjaks, le sandjak en kazas, qui répondent à nos cantons, le kazas en communes ou naïés. Un moutésarif gouverne le sandjak, un caïmacan le kazas, un mudir la commune. La province d’Andrinople comprend cinq sandjaks, celui de Rodosto, que nous avons visité en partie, ceux d’Andrinople, de Filibé, de Gallipoli et d’Islimié ; dans chaque