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venu confident, secrétaire, employé à la poste, pacha de Syrie, enfin vali d’Andrinople. Hassam-Pacha, qui gouvernait Larisse en 1866, n’avait pas eu des débuts plus brillans ; à trente-cinq ans, il administrait une des provinces les plus importantes de l’empire, celle de Thessalie. Il m’a montré chez lui un cafedji de quinze ans qui apprenait à lire et auquel il préparait les plus belles destinées.

Les médecins tiennent leur place dans les intrigues des cliens. Que ne peut un médecin sur un malade ! Mettre une femme de sa famille dans un harem est toujours aussi une rare fortune. Le moutésarif actuel de Filibé (gouverneur placé sous les ordres du vali), poursuivi par ses créanciers, est souvent menacé de destitution ; quand ses affaires vont trop mal, sa femme, la koukouna (la dame) que nous avons rencontrée à Baba-Eskisi, part pour Stamboul, et là, grâce à ses amies et à ses parentes, obtient que son mari reste en charge. On dit parfois que la Turquie est gouvernée par les femmes. C’est là une assertion dont les Européens ne peuvent apprécier au juste la valeur ; cependant il leur est facile de comprendre tout ce qu’il doit y avoir de vrai dans ce paradoxe. Les femmes turques sont actives et n’ont pas dans la vie ottomane la réserve timide que nous leur supposons. L’autre jour, pendant que je présentais mes salamaleks au vali d’Andrinople, entre une Turque de vingt ou vingt-cinq ans, elle traverse le salon d’un pas décidé et s’arrête devant le gouverneur ; là, sans attendre, elle lui dit que son mari est à l’armée, — elle ne sait où, — qu’il ne touche pas sa solde, puisqu’il ne lui envoie pas un para, que c’est là une indignité. Sa voix s’élève, le ton devient impérieux ; le pacha trouve la chose toute naturelle, et ordonne de donner un à-compte à la plaignante. Les femmes sont sûres de l’impunité, un homme qui les rudoierait serait déshonoré. On les voit partout à Constantinople, dans les ministères, pénétrer jusqu’aux fonctionnaires les plus hauts et plaider leur cause avec cette insistance qui ne cédera pas, parce qu’elle est sous l’empire d’une idée fixe. On sait que la Turquie a créé à Péra un collège français. Quand on afficha le règlement, on y mit pour la forme que les mères musulmanes pourraient venir voir leurs fils le vendredi. Il semblait qu’il ne dût pas y avoir foule. Le premier jour de parloir, la maison vit arriver deux ou trois cents femmes turques, qui, sans rien entendre, sans s’inquiéter d’autre chose que de leur volonté, se répandirent dans toute la maison. Ce fut une invasion : cours, dortoirs, cuisines, classes, appartemens des répétiteurs, rien ne fut respecté. Le directeur, M. de Salves, dut les laisser maîtresses da la place ; le lendemain, on supprima du règlement le malheureux article. Ces femmes ne sont pas seulement des enfans espiègles, elles ont beaucoup de bon sens et savent très bien suivre