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été ainsi dans le monde oriental ; la Grèce antique elle-même multipliait très peu les documens écrits. On voit bien dans les procès qui nous sont connus que les juges, pour les contrats, les hypothèques et tous les sujets de contestation, demandent aux plaideurs de jurer par les dieux qu’ils disent la vérité. La bureaucratie romaine, bien que déjà tout occidentale, nous a laissé de curieux échantillons de ses procédés. Nous avons un grand nombre de quittances du bureau des douanes de l’île d’Éléphantine datées du siècle des Antonins : ce sont de grossiers tessons, des morceaux de pots cassés, devenus des pièces officielles, couverts de chiffres, de calculs, d’attestations aussi bien rédigées que celles de nos percepteurs. On n’imagine guère que les receveurs de ce bureau, Arpaësis ou Ammonios par exemple, aient eu dans leurs archives beaucoup plus d’ordre que les employés du séraï à Andrinople. Les Turcs peuvent encore dire qu’ils ont pris les Arabes pour modèles, que ceux même du règne d’Haroun-al-Raschid n’ont jamais connu d’autres procédés administratifs. Cette manière de faire n’en est pas meilleure, elle ne peut avoir à nos yeux que l’avantage de nous expliquer quelques habitudes anciennes, quelques usages modernes assez étranges. C’est parce que les pièces sont roulées qu’un ministre turc n’a de portefeuille que par métaphore, et marche toujours suivi d’un domestique qui porte une petite valise. On voit encore quelquefois dans la Grèce constitutionnelle des hommes du vieux parti, arrivés aux plus hautes charges, ne pas consentir à prendre sous le bras un dossier commode et d’un faible volume, mais se rendre chez le roi ou à la chambre tenant à la main un mouchoir où ils ont renfermé les dépêches les plus importantes. Ces vieillards sont les fils des anciens primats ; ils n’ont pu abandonner une coutume qui du temps de leur père était toute naturelle.

Au premier étage est le cabinet du vali. S’il est peu aisé pour un Européen de se figurer comment fonctionnent des bureaux turcs, il lui est bien plus difficile de comprendre comment un gouverneur suffit aux affaires qui lui incombent. Il est le maître souverain de la province, chef de la police, général d’armée, directeur des finances, président des conseils de gouvernement et des tribunaux ; il doit voir à tout, s’occuper de tout, et en même temps que d’affaires privées, combien de minimes détails ne sont pas soumis à sa décision suprême ! Pour une injure, pour un bakchich donné inutilement, pour la moindre faveur, c’est à lui qu’on s’adresse. Du lever au coucher du soleil, il reçoit quiconque se présente. Les plus simples Turcs arrivent sans se faire annoncer ; on dirait un chef patriarcal qui connaît tous ses administrés. Certainement les inférieurs arrangent à leur guise beaucoup de contestations, mais en principe le vali est seul responsable ; puis, qu’il est commode de lui renvoyer