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gouvernemens de Bulgarie, d’Albanie, de Bosnie, ne sont pas moins étendus ; en Asie-Mineure, les vilayets présentent généralement des surfaces plus considérables encore. L’Europe n’a aucun état dont les subdivisions administratives comprennent des territoires aussi vastes, un nombre aussi élevé d’habitans. On voit que le vali ou pacha d’Andrinople est un puissant seigneur. Son palais, que les habitans appellent le seraï, sans confondre ce mot avec celui de harem, s’élève au milieu de la ville. C’est une maison moderne où les corps de bâtimens, disposés en carré autour d’une cour, présentent de longues surfaces blanches, crépies à neuf et sans style aucun. Tous les services de la province s’y trouvent centralisés ; le palais renferme même la prison, que tout gouverneur turc veut toujours avoir sous la main. Le fond de l’édifice est réservé aux femmes, la partie qui donne sur la rue aux diverses administrations. Au rez-de-chaussée sont les bureaux du sandjak ou arrondissement d’Andrinople, au premier ceux de la province entière. On entre dans un vestibule encombré de soldats, de domestiques qui font la cuisine, de solliciteurs qui dorment ou causent en attendant leur tour d’audience ; c’est la confusion la plus bigarrée qui se puisse imaginer. Chaque bureau donne sous ce vestibule ; comme la chaleur est très grande, les portes restent ouvertes. Chacune de ces chambres offre le même aspect. Des employés sont accroupis sur des canapés ; tout en prenant du café que des serviteurs ne cessent d’apporter, ils écrivent lentement sur leurs genoux, mieux vaudrait dire qu’ils dessinent, tant il leur faut de peine et d’attention. Il n’y a là ni dossier, ni carton, ni registre, ni tout le mobilier ordinaire de nos administrations. De grands sacs de percale blanche pendus au mur contiennent les archives de cette bureaucratie ; ces actes ne sont pas plies, mais roulés comme des rubans. Quand on veut consulter une pièce, on vide par terre un sac, puis deux, et on développe ces innombrables rouleaux. Un employé passe quelquefois la journée à chercher une note peu importante ; les Turcs sont admirables pour supporter ces ennuis, qui ne les lassent jamais. Après une longue enquête de ce genre, le plus souvent infructueuse, l’heure d’aller dîner est venue ; un zaptié (ces gendarmes remplissent au séraï l’office d’huissier) remet tous les rouleaux dans les sacs, presque toujours au hasard. C’est un lieu-commun qu’un bureau ne peut jamais fournir la pièce qu’on lui demande. Une réforme très simple, qui n’est pourtant pas dans le hatti-houmaïoum, serait de prescrire aux employés de ne plus rouler les pièces administratives, et de remplacer les sacs traditionnels par des cartons.

Autrefois, dans l’empire ottoman, les pièces écrites étaient très rares ; pour cette raison, les tribunaux en appelaient presque toujours au serment, la parole remplaçait l’écriture. Il en a toujours